Chronique Fantaisiste
LES PATTES DE MOUCHE

On juge en ce moment, à Londres, un procès tellement scandaleux qu'un journal à l'usage des familles, la Saint-James Gazette, a dû faire annoncer en gros caractère qu'il était «le seule quotidien ne rendant pas compte de l'affaire Oscar Wilde».

Aussi bien, la cause dont il s'agit est d'une nature que la mère n'en permettre pas la lecture à sa fille et encore moins à son fils.

M. Oscar Wilde apparaît, en effet, dans cette affaire, comme un nouveau Don Juan, mais le Don Juan des petits garçons, et le rôle de la Statue du Commandeur est joué par le marquis de Queesberry, père de l'une des victimes du séducteur, le jeune lord Douglas, qui a poussé l'oubli de ses devoirs jusqu'à écrire à son noble père : « Quel drôle de petit bonhomme vous êtes ! » et jusqu'à le prévenir qu'il était disposé à l'abattre d'un coup de revolver, comme un redoutable gredin.

Lord Queensberry s'était attiré ces choses pénibles en menaçant son fils de le déshériter s'il ne renonçait pas à son intimité infamante avec Oscar Wilde.

« Je vous ai vu tous deux ensemble dans les attitudes les plus repoussantes, et jamais, dans ma longue existence, je n'ai vu d'expression comparable à celle qui était peinte sur votre épouvantable physionomie », ajoutait ce père indigné qui, n'obtenant pas satisfaction, en vint à déposer chez le concierge du club où fréquente Oscar Wilde une carte sur laquelle il formulait ses accusations d'une manière outrageusement pénible ; il menaçait en outre l'écrivain décadent de le boxer publiquement, partout où il le rencontrerait avec son fils.

Il convient d'ajouter que lord Queensberry n'est point un personnage aux allures efféminées, comme ce gros boursouflé d'Oscar Wilde ; c'est un vigoureux gentleman facilement enclin à la violence et qui professe un goût marqué pour la boxe ; le prince de Galles a même eu toutes les peines du monde à tirer de ses mains lord Rosebery, dont il prétendait avoir à se plaindre. Oscar Wilde a horreur de ces manières-là et, devant l'insistance de ce papa mécontent, il s'est décidé à déposer une plainte en diffamation et menaces de voies de fait.

Toutefois, les journaux anglais sont unanimes à constater que, dans cette répugnante affaire, le véritable accusé c'est le plaignant, contre lequel l'avovat de lord Queensberry relève les charges les plus monstrueuses : il a notamment donné lecture, à l'audience, d'une lettre d'Oscar Wilde à son jeune ami qui dépasse, dans le lyrisme de la tendresse, tout ce que le pasteur Corydon se permettait d'exprimer au joli berger Adonis: « C'est une merveille, lui écrivait-il, que vos lèvres carminées comme des feuilles de roses, soient aussi douées pour la musique des chants que pour la folie des baisers... Votre svelte âme d'or oscille entre la passion et la poésie. » Notez bien qu'Oscar Wilde ne désavoue nullement cette lettre qu'il qualifia même, au cours de l'interrogatoire, d'admirable sonnet en prose. Les sonnets de ce poète à un lord sont plus ardents, oh combien ! que ceux qu'adressait Pétrarque à la sienne!

Sonnet... c'est un sonnet!... l'espoir..., c'est un jeune homme qui de quelque espérance avait flatté sa flamme ; c'est à peu près sur ce ton de Marquis des Précieuses, qu'Oscar Wilde le prend avec le magistrat qui l'interroge; mais la grande question est de savoir s'il s'en est réellement tenu à ces espérances, dont le jeune lord Douglas flattait cette étrange flamme. Par malheur pour le plaignant, de nombreux témoignages établissent qu'il est dans ses habitudes de se lier avec les petits jeunes gens qu'il rencontre un peu partout, qu'il les emmène chez lui, les appelle de leur petit nom, sans doute en leur passant la main dans les cheveux, et ne les congédie jamais sans leur faire un petit cadeau : c'est à l'ordinaire deux livres sterling, soit cinquante francs, plus le change, avec un porte-cigarette en argent. Ces petits bougres s'en vont, contents et satisfaits, en faire part à leurs amis et connaissances ; c'est ainsi qu'Oscar Wilde s'est rapidement fait une notoriété que le prestige de ses livres n'aurait jamais suffi à lui conquérir.

Notez bien que, parmi ses œuvres, proémine Dorian Grey, dont l'auteur décrit, avec un raffinement amoureux, les délices de la tendresse d'un homme pour un de ses semblables d'une façon tout à fait étrangère à l'amour du prochain tel que le recommande la parabole du Bon Samaritain, quelle que soit d'ailleurs a chrétienne tendance de M. Oscar Wilde à tendre les autres joues.

Avec de pareilles habitudes, l'ex-ami du jeune lord Douglas était fatalement condamné à devenir la proie des maîtres-chanteurs : à chaque instant, on lui apportait une de ses lettres d'amour, qu'il était obligé de racheter, et ses autographes atteignirent bientôt de la sorte un cours auquel peuvent aspirer fort peu d'écrivains.

Ce diable d'homme écrivait trop : ce sont les pattes de mouches qui l'ont perdu. Il expie cruellement, aujourd'hui, sa déplorable facilité de plume.

Il est, du reste, à remarquer que tout cela ne semble pas l'émouvoir considérablement ; il fait de l'esprit à l'audience, pirouette, joue sur les mots, décoche des impertinences à ses adversaires et semble trouver parfaitement naturelles les horreurs qu'on lui reproche. On le prend pour un cynique ; au fond c'est un inconscient, qui n'a jamais eu le cerveau parfaitement équilibré : ses succès, qui furent considérables dans le monde artistique et littéraire de Londres, sont dus surtout à son incontestable originalité, et on s'accorde à reconnaître qu'il a une façon à lui de prendre les choses. Et s'il était permis de faire intervenir, dans un si triste débat, la frivolité d'un à-peu-près, je me permettrais de faire observer comme quoi l'on devait s'attendre à ce que cet homme eût des goûts contre nature, attendu que la nature a notoirement horreur du Wilde. Mais ce ne sont pas là des arguments.

A vrai dire, l'adversaire d'Oscar Wilde est également un original, mais de toute autre façon : l'un est aussi tendre que l'autre est brutal, et celui-ci rivalise de grossièretés avec les raffinements de celui-là ; c'est à ce point que la police a dû lui interdire l'entrée d'un théâtre qui représentait je ne sais plus quelle pièce de Wilde, et où il voulait à toute force pénétrer avec un panier de légumes, dans l'intention bien évidente de les jeter sur la scène. Cet incident, raconte à l'audience, a provoqué une douce hilarité ; on prête même à lord Queensberry ce trait assez plaisant sur son bouquet de légumes: « C'est pour la forme que je les lui envoyais, car je sais parfaitement qu'il ne les aurait pas gardés! »

Malgré les nombreux éléments de comique qui l'agrémentent, c'est un sentiment de profond dégoût qui se dégage de ce procès scandaleux et il est vraiment regrettable que le tribunal anglais n'ait pas cru devoir prononcer l'huis-clos ; tout au moins, eût-il convenu que, par égard pour les familles, la Presse se fût donné le mot pour ne pas imprimer les noms des deux adversaires : on se serait parfaitement contenté des initiales et le public eût été renseigné d'une façon suffisante par le récit des démêlés d'Oscar W... avec lord Q...

GROSCLAUDE.

Fanciful Chronicle
FLY LEGS

At the moment, in London, we are hearing a trial so outrageous that a newspaper for families, the Saint-James Gazette, had to advertise in large print that it was "the only daily not reporting on the Oscar Wilde affair.

Moreover, the cause in question is of a nature that the mother does not allow her daughter to read, and even less to her son.

Mr. Oscar Wilde appears, in fact, in this affair, as a new Don Juan, but the Don Juan of little boys, and the role of the Statue of the Commander is played by the Marquis of Queesberry, father of one of the victims. of the seducer, the young Lord Douglas, who pushed the forgetfulness of his duties to the point of writing to his noble father: “What a funny little fellow you are! and went so far as to warn him that he was ready to shoot him down with a revolver, like a formidable villain.

Lord Queensberry had brought these painful things upon himself by threatening his son with disinheriting him if he did not renounce his infamous intimacy with Oscar Wilde.

"I have seen you both together in the most repulsive attitudes, and never, in my long life, have I seen an expression comparable to that which was painted on your appalling countenance", added this indignant father who, not obtaining satisfaction, went so far as to deposit with the concierge of the club where Oscar Wilde frequents a card on which he formulated his accusations in an outrageously painful manner; he further threatened the decadent writer to box him publicly wherever he met him and his son.

It should be added that Lord Queensberry is not an effeminate personage, like that fat, bloated Oscar Wilde; he is a vigorous gentleman easily prone to violence and who professes a marked taste for boxing; the Prince of Wales even had all the difficulty in the world in getting Lord Rosebery out of his hands, of whom he pretended to have cause to complain. Oscar Wilde hates such manners and, at the insistence of this disgruntled father, he decided to file a complaint for defamation and threats of assault.

However, the English newspapers are unanimous in noting that, in this repugnant affair, the real defendant is the plaintiff, against whom Lord Queensberry's lawyer raises the most monstrous charges: he notably read, at the hearing , of a letter from Oscar Wilde to his young friend which goes beyond, in the lyricism of tenderness, all that pastor Corydon allowed himself to express to the pretty shepherd Adonis: "It is a marvel, he wrote to him , may your carmine lips like rose leaves be as gifted for the music of songs as for the madness of kisses... Your slender golden soul oscillates between passion and poetry. Note that Oscar Wilde in no way disavows this letter, which he even qualified, during the interrogation, as an admirable prose sonnet. The sonnets of this poet to a lord are more ardent, oh how! than those which Petrarch addressed to his!

Sonnet...it's a sonnet!...hope...it's a young man who with some hope had flattered his flame; it is more or less in this tone of Marquis des Precieuses that Oscar Wilde takes it up with the magistrate who is interrogating him; but the great question is whether he really held to those hopes with which young Lord Douglas flattered that strange flame. Unfortunately for the plaintiff, many testimonies establish that it is his habit to get on with the little young people he meets almost everywhere, that he takes them to his house, calls them by their first name, no doubt by running your hand through their hair, and never dismiss them without giving them a little present: it is usually two pounds sterling, or fifty francs, plus change, with a silver cigarette case. These little buggers go away, happy and satisfied, to share it with their friends and acquaintances; this is how Oscar Wilde quickly gained notoriety that the prestige of his books would never have been enough to conquer for him.

Note well that, among his works, stands out Dorian Grey, whose author describes, with amorous refinement, the delights of a man's tenderness for one of his fellows in a way quite foreign to the love of the neighbor as recommended by the parable of the Good Samaritan, regardless of Mr. Oscar Wilde's tendency to turn the other cheeks.

With such habits, the ex-friend of young Lord Douglas was fatally condemned to fall prey to blackmailers: every moment they brought him one of his love letters, which he was obliged to redeem, and his autographs thus soon attained a course to which very few writers can aspire.

This devil of a man wrote too much: it was the paws of flies that ruined him. He cruelly atones, today, for his deplorable facility with the pen.

It is, however, to be noted that all this does not seem to move him considerably; he is witty in the audience, pirouettes, plays on words, shouts impertinence at his adversaries and seems to find the horrors for which he is reproached perfectly natural. They take him for a cynic; basically he is an unconscious, who has never had a perfectly balanced brain: his successes, which were considerable in the artistic and literary world of London, are due above all to his undeniable originality, and we agree in recognizing that he has his own way of taking things. And if it were permitted to introduce, in such a sad debate, the frivolity of an approximation, I would allow myself to observe how one should expect that this man had tastes against nature, since nature notoriously abhors the Wilde. But these are not arguments.

To tell the truth, Oscar Wilde's adversary is also an original, but in quite another way: one is as tender as the other is brutal, and the latter rivals in coarseness the refinements of the former; it was at this point that the police had to forbid him entry to a theater which was performing I don't know which play by Wilde, and which he wanted to enter with any force with a basket of vegetables, with the obvious to throw them on the stage. This incident, told the audience, caused mild hilarity; Lord Queensberry is even credited with this rather amusing note about his bouquet of vegetables: "It was for show that I sent them to him, because I know perfectly well that he would not have kept them!" »

Despite the many comical elements that adorn it, it is a feeling of deep disgust that emerges from this scandalous trial and it is truly regrettable that the English court did not think it necessary to pronounce the closed session; at least, had he agreed that, out of respect for the families, the Press would have given itself the word not to print the names of the two adversaries: they would have been perfectly satisfied with the initials and the public would have been informed in a sufficient by the account of the disputes of Oscar W... with Lord Q...

GROSCLAUDE.

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