UNE PÉTITION

Les dieux m'en sont témoins — Vénus particulièrement : j'avais pris la ferme résolution de garder le silence sur Oscar Wilde. A mon modeste avis, la Presse française s'occupait beaucoup trop de cet infortuné, mais très répugnant personnage. Si je me décide à parler de lui, c'est que l'on m'y force.

Une pétition en sa faveur, adressée à la reine Victoria, fait, depuis quelques jours, le tour des journaux, et j'apprends, non sans surprise, que cette pétition sera, sans aucun doute, revêtue de ma signature.

Peut-être la civilité puérile et honnête aurait-elle exigé qu'on me consultât, avant d'imprimer mon nom tout vif et ceux de quelques-uns de mes plus illustres contemporains, sur la liste des écrivains français qui prétendent intercéder auprès de Sa Gracieuse Majesté pour obtenir, sinon la grâce complète d'Oscar Wilde, au moins une atténuation de sa peine. Mais, pardon ! je retarde. Nous ne sommes plus au temps de la courtoisie et des égards. On s'est dit, tout simplement : « Coppée est bonhomme. Il signera. Marchons. » Je suis bon enfant, en effet, et je veux bien excuser les gens pressés. Néanmoins, le procédé manque de correetion.

Si demain — malgré l'invraisemblance du fait — on fourrait à Mazas un certain nombre de députés panamistes, je serais très mortifié, croyez-le bien, qu'on annonçât que je fais des démarches actives pour qu'ils bénéficient d'une ordonnance de non-lieu. Si les sans-patrie — tout est possible — se prenaient d'attendrissement, un de ces jours, pour l'ex-capitaine Dreyfus, et se mettaient à gémir sur son sort, rien ne me serait plus désagréable que de voir mon nom compromis dans cette affaire, sans ma permission expresse. C'est convenu, je suis plein de clémence et de miséricorde ; mais, avant d'accorder mon absolution, je désire qu'on vienne faire un petit cour à mon confessionnal.

Et, d'ailleurs, il y a des cas réservés.

Liquidons tout de suite celui d'Oscar Wilde. Sincèrement, je trouve, avec tous les gens raisonnables, que le supplice qu'on lui inflige est excessif et cruel. Le malpropre esthète était très suffisamment châtié, selon moi, par la seule sentence de ses juges, qui le couvrait de déshonneur et — par dessus le marché — de ridicule. J'imagine que, si l'on s'est montré, là-bas, à ce point sévère pour lui, c'est qu'on a voulu faire un exemple et arrêter les progrès d'un vice abominable, qui — me suis-je laissé dire — tend à se répandre en Angleterre. Je consens à plaindre Oscar Wilde, comme boue émissaire ; mais les souillures dont il est chargé m'inspirent autant d'horreur que de dégoût.

Cependant, j'avais frémi en lisant le récit de ses souffrances ; et, lorsqu'on parla de la pétition — encore une fois, je passe condamnation sur le sans-gêne des pétitionnaires — je me suis demandé si je la signerais ou non, et je me le demande encore aujourd'hui.

Mon premier mouvement — on dit que c'est toujours le bon — fut celui de la pitié quand même. Deux vers d'un vieux poème d'opéra chantèrent dans ma mémoire :

Il est homme, il est malheureux.
Ne m'en dites pas plus ; le reste est inutile.

Et je me rappelai aussi l'admirable épisode de la Légende des Siècles, où le sultan Mourad va droit au ciel, bien que chargé de toutes sortes de crimes, parce qu'il est mort un instant après avoir chassé les mouches qui irritaient la plaie béante d'un porc fraîchement égorgé. Entre nous, le souvenir de l'animal secouru par le sultan Mourad me paraissait même tout à fait opportun.

J'en étais là, quand voici qu'on publie le texte de la pétition. Il m'étonne, et je me mets à réfléchir. C'est « au nom de l'Humanité et de l'Art » qu'on implore la grâce d'Oscar Wilde. En ce qui concerne l'Humanité, nous sommes d'accord, bien que le mot « animalité » m'eût paru plus exact. Mais l'Art ?

Qu'est-ce que l'Art vient faire ici ?

Oscar Wilde a peut-être du génie.Comment le saurais-je ? J'ignore la langue anglaise. Il y a bien une traduction, toute récente, d'un de ses ouvrages, le Portrait de Dorian Gray, et des gens de goût m'assurent que ce conte fantastique n'est pas sans mérite. Mais, depuis que des voyageurs et des polyglottes m'ont affirmé qu'Edgar Poë écrivait médiocrement et ne devait son succès en France qu'à la version de Baudelaire, je ne sais plus que penser. Ce que je sais fort bien, par exemple, c'est qu'Oscar Wilde — avant ses malheurs — était absolument inconnu chez nous. Il avait pourtant déjà fait un séjour à Paris et il y avait laissé le souvenir d'un insupportable poseur, voilà tout. Depuis son aventure, — n'insistons pas sur cette ignoble histoire, — depuis son aventure seulement, il a été promu homme de génie.

Convenez que c'est bizarre, tout de même.

Mais va pour le génie ! En quoi le talent d'un écrivain excuse-t-il des actes qui — à tort ou à raison — sont punis par les lois de son pays ? En quoi le châtiment qu'il subit, si exagéré, si injuste, si affreux que soit ce châtiment, exciterait-il ma pitié plus que s'il était appliqué à tout autre coupable ? On va me trouver, aujourd'hui, bien égalitaire. Mais, si j'ai de l'indulgence pour les aberrations de la chair, je la dépenserai plutôt en faveur d'une brute de forçat ou d'un misérable matelot embarqué sur quelque navire baleinier pour une longue campagne, qu'en faveur de ce poète pourri. Il a, moins que bien d'autres, le droit d'invoquer les circonstances atténuantes. Tout ce que ses avocats peuvent plaider, c'est l'état morbide, la manie érotique. Eh bien ! il y a des asiles pour les fous. Apportez-moi un papier où vous proposeriez de mettre cet aliéné à Bedlam. Je suis prêt à signer à tour de bras.

Je n'ignore pas que, depuis Lombroso, nous sommes tous des irresponsables, des malades et des déments, qu'il n'y a plus ni crimes, ni délits, ni vices, ni quoi que ce soit, et que les scélérats et les dépravés méritent les plus grands ménagements. Admirable théorie, qui n'est impitoyable que pour les victimes ! Complétons le physiologiste italien par le critique allemand ; lisons Max Nordau, et nous apprendrons que ceux de l'élite intellectuelle sont précisément descendus au pire degré de la dégénérescence. Et, alors, en bonne logique, la société idéale serait une immense maison de santé, où les tribunaux seraient remplacés par des commissions médicales, le Code par le Codex, et l'amende et la prison par le bromure et les douches.

Daus un tout autre sens que ces divagations scientifiques, moi, j'irai plus loin et j'accorderai que, peut-être bien, l'homme, en effet, n'est pas libre, et que, devant une justice supérieure, absolue, qui plane au-dessus de nos misères, il se peut qu'il n'y ait plus de coupables, ni d'innocents. Mais nous sommes ici en plein rêve. Or, avant tout, il faut une société habitable. Que ceux qui sont d'avis de supprimer la gendarmerie veuillent bien lever la main.

Pour revenir à la pétition en faveur de l'esthète, il est facile d'en prévoir l'effet sur l'opinion dans cette puritaine et traditionnelle Angleterre, où l'on ne touche pas à des lois datant de Marie la Sanglante. On n'obtiendra rien dans l'intérêt du prisonnier, et un cri d'hypocrite indignation s'élèvera de toutes parts contre l'immoralité française. Avant de compromettre, au-delà de la Manche, le bon renom de mon pays, où la législation plus sage pousse le mépris de pareilles turpitudes jusqu'à les ignorer, dame, j'hésite.

Hélas ! faut-il que nous soyons antichés d'exotisme pour n'avoir pas attendu une meilleure occasion de manifester nos sympathies internationales ! Il n'en manque pourtant pas, chez nous, et à l'étranger, d'injustices scandaleuses, de malheurs faits pour arracher des larmes. D'où vient donc la préférence malsaine qui passionne certains esprits pour cette histoire fangeuse, pour ce martyr abject ?

En vérité, nous ferions mieux de laisser là cette sale affaire. Le drame n'est pas intéressant. Cela manque trop de femmes.

Faut-il, quand même, signer la pétition ? La loi qui a frappé Oscar Wilde est barbare, la torture qu'il subit est atroce. Je suis ému en songeant à tout cela, comme je le serais devant une bête qui souffre. Allons ! Qu'on me donne une plume et de l'encre. Mais, sous mon nom, je prétends inscrire le seul de mes titres qui convienne à la circonstance : « Membre de la Société protectrice des animaux. »

FRANÇOIS COPPÉE.

A PETITION

The gods are my witnesses to this—Venus in particular: I had taken the firm resolution to keep silent about Oscar Wilde. In my modest opinion, the French Press took too much care of this unfortunate but very repugnant character. If I decide to talk about him, it's because I'm being forced to.

A petition in his favour, addressed to Queen Victoria, has been making the rounds of the newspapers for some days, and I learn, not without surprise, that this petition will, without any doubt, bear my signature.

Perhaps puerile and honest civility would have demanded that I be consulted, before printing my living name and those of some of my most illustrious contemporaries, on the list of French writers who claim to intercede with His Excellency. Gracious Majesty to obtain, if not the complete pardon of Oscar Wilde, at least a mitigation of his sentence. But, sorry! I delay. We are no longer in the time of courtesy and consideration. We said to ourselves, quite simply: “Coppée is a good man. He will sign. Let's walk. I am indeed a good child, and I am willing to excuse people in a hurry. However, the method lacks correlation.

If tomorrow - despite the improbability of the fact - a certain number of Panamist deputies were introduced into Mazas, I would be very mortified, believe me, if it were announced that I was taking active steps to ensure that they benefit from an ordinance of dismissal. If the homeless—everything is possible—became tender, one of these days, for ex-Captain Dreyfus, and began to moan about his fate, nothing would be more disagreeable to me than to see my name compromised. in this matter without my express permission. It is agreed, I am full of clemency and mercy; but, before granting my absolution, I would like someone to come and pay a little court to my confessional.

And, moreover, there are reserved cases.

Let us immediately liquidate that of Oscar Wilde. Sincerely, I find, with all reasonable people, that the torture inflicted on him is excessive and cruel. The filthy aesthete was very sufficiently punished, in my opinion, by the sentence of his judges alone, which covered him with dishonor and—on top of that—ridiculousness. I imagine that if they showed themselves to be so severe towards him there, it was because they wanted to set an example and stop the progress of an abominable vice, which I let it be said — is tending to spread in England. I consent to pity Oscar Wilde, as scapegoat; but the stains with which it is loaded inspire me with as much horror as disgust.

However, I had shuddered when I read the account of his sufferings; and when we talked about the petition — once again, I pass condemnation on the lack of embarrassment of the petitioners — I wondered whether I would sign it or not, and I still wonder today.

My first impulse — they say it's always the right one — was that of pity all the same. Two lines from an old opera poem sang in my memory:

He is a man, he is unhappy.
Tell me no more; the rest is useless.

And I also remembered the admirable episode of the Legend of the Centuries, where Sultan Mourad goes straight to heaven, although loaded with all sorts of crimes, because he died a moment after chasing away the flies that irritated the wound. gaping gap of a freshly slaughtered pig. Between us, the memory of the animal rescued by Sultan Mourad even seemed quite appropriate to me.

I was there, when here we publish the text of the petition. He surprises me, and I start thinking. It is “in the name of Humanity and Art” that we implore the pardon of Oscar Wilde. As far as Humanity is concerned, we agree, although the word "animality" would have seemed to me more exact. But Art?

What is Art doing here?

Oscar Wilde may have genius. How would I know? I don't know the English language. There is indeed a very recent translation of one of his works, The Picture of Dorian Gray, and people of taste assure me that this fantastic tale is not without merit. But since travelers and polyglots told me that Edgar Poë wrote poorly and only owed his success in France to Baudelaire's version, I no longer know what to think. What I know very well, for example, is that Oscar Wilde—before his misfortunes—was absolutely unknown to us. He had, however, already made a stay in Paris and he had left the memory of an insufferable poseur, that's all. Since his adventure—let's not insist on this ignoble story—only since his adventure, he has been promoted to man of genius.

Agree that it's weird, though.

But go for the genius! How does a writer's talent excuse acts which — rightly or wrongly — are punishable by the laws of his country? In what way would the punishment he suffered, however exaggerated, however unjust, however dreadful this punishment be, arouse my pity more than if it were applied to any other culprit? People will find me, today, very egalitarian. But if I have any indulgence for the aberrations of the flesh, I would rather expend it on a brute convict or a wretched sailor embarked on some whaling ship for a long campaign, than on this rotten poet. He has, less than many others, the right to invoke extenuating circumstances. All his lawyers can plead is the morbid state, the erotic mania. Well ! there are asylums for the insane. Bring me a paper on which you would propose to put this lunatic at Bedlam. I am ready to sign with all my might.

I am aware that, since Lombroso, we have all been irresponsible, sick and insane, that there are no more crimes, misdemeanors, vices, or anything whatsoever, and that villains and the depraved deserve the greatest consideration. Admirable theory, which is pitiless only for the victims! Let us complete the Italian physiologist by the German critic; read Max Nordau, and we will learn that those of the intellectual elite have descended precisely to the worst degree of degeneration. And then, logically, the ideal society would be an immense house of health, where the courts would be replaced by medical commissions, the Code by the Codex, and the fine and the prison by bromide and showers.

In a completely different sense than these scientific ramblings, I will go further and agree that, perhaps, man is indeed not free, and that, before a superior, absolute justice , which hovers above our miseries, there may no longer be any guilty or innocent. But we are here in the middle of a dream. However, above all, we need a livable society. Those who are in favor of abolishing the gendarmerie, please raise their hands.

To return to the petition in favor of the aesthete, it is easy to foresee its effect on public opinion in this puritanical and traditional England, where laws dating from Mary the Bloody are not touched. Nothing will be obtained in the prisoner's interest, and a cry of hypocritical indignation will be raised from all sides against French immorality. Before compromising, beyond the Channel, the good name of my country, where the wiser legislation pushes the contempt of such turpitudes until ignoring them, lady, I hesitate.

Alas! must we be antiquated with exoticism for not having waited for a better opportunity to manifest our international sympathies! However, there is no lack, at home and abroad, of scandalous injustices, of misfortunes made to tear tears away. Where does the unhealthy preference that impassions certain minds for this muddy story, for this abject martyr, come from?

In truth, we had better leave this dirty business there. The drama is not interesting. Too many women are missing.

Should I still sign the petition? The law that struck Oscar Wilde is barbaric, the torture he is subjected to is atrocious. I am moved by thinking of all this, as I would be in front of a suffering animal. Let's go ! Give me a pen and ink. But, under my name, I claim to inscribe the only one of my titles that suits the circumstance: "Member of the Society for the Protection of Animals." »

FRANCOIS COPPE.

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