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Next report Le Monde artiste - Sunday, April 28, 1895

LA SEMAINE ARTISTIQUE
(LETTRES ET BEAUX-ARTS)

Une nouvelle tempête de scandale s'est déchaînée sur Londres. La « respectability » britannique est empestée d'une odeur de soufre émanant des ruines de l'ancienne Gomorrhe, et John Bull, une fois de plus démasqué, fulmine contre les « vices français » !

L'attitude de certaine presse anglaise au sujet de l'affaire Oscar Wilde, est imbécile, évidemment, mais celle de certains journaux parisiens ne l'est pas moins. Car il faut bien l'avouer à la honte de notre misérable époque, la Lutèce de nos décadents ne vaut pas mieux que la capitale de la pudique Albion. Cet Oscar Wilde, un esthète retour de Sodome et mûr pour le bagne, a chez nous des rivaux de marque. Adoré Floupette a fait des enfants dont le mysticisme aiguisé par d'inavouables désirs, préfère de beaucoup Bathyle à Glycère, selon l'expression de Bergerat, dont la verve bourgeonne en même temps que les marronniers d'Inde.

Il y aurait une belle étude à faire pour démontrer que le « grand mouvement mystique » de ces dernières années n'est, en réalité, qu'un mouvement érotique, en dehors des lois de la nature, et que toute puissance géniale est impossible, autant chez les esthètes de France que chez ceux d'Angleterre. La fameuse hypocrisie anglaise a traversé le détroit depuis longtemps ; les divins de Paris ne sont pas de beaucoup dépassés par ceux de Londres, si tant est qu'ils le soient. Parmi nos trop fameux aèdes dont je laisse aux tribunaux le soin de préciser l'origine et les manœuvres, combien pourraient être à jamais frappés d'ignominie ! Hypocrites, en ce qui concerne la dépravation des mœurs, mais nous le sommes plus que quiconque, car voici que maints coupables prennent posture de juges !

Oh! l'épouvaulable fin de race ! La névrose a gagné le cerveau ; la pureté des sentiments équivaut à l'ignorance, on méprise les attardés qui veulent des amours loyales pour créer des œuvres saines ; on est tout à la glorification des sens dédoublés jusqu'au crime ! Exagération, direz-vous. Que nenni. Partant d'actions démoniaques pour atteindre à l'horreur, en passant par une aventure en laquelle un poète adoré par les prêtresses de Lesbos fut premier acteur, que de cas de « wildisme » et de « sadisme » incroyables et pourtant vrais sont connus et subis ! D'où naissent ces aberrations ignobles ? Du besoin qu'ont les modernistes outranciers de n'être plus simples autant que l'est toujours la nature.

Ils ont pensé, ces chevaucheurs d'un idéal affolé, que redire ce que tant d'autres avaient dit déjà, depuis des siècles et des siècles, c'était se montrer pauvre de concepts. Alors ils ont créé l'Ecole du mensonge obscène à l'usage des médiocres.

Oui, l'infamie des mœurs qui grandit chaque jour est la marque de la médiocrité désireuse de s'imposer coûte que coûte, au mépris des lois normales de la passion. En effet, je mets au défi qu'on me cite une œuvre de valeur, tant chez les poètes que chez les musiciens ou les peintres qui promènent des brasseries aux chambres closes, leurs théories de l'insexuel, pour aboutir à des actions turpides comme à des besognes corruptrices.

Qui donc balaiera cette tourbe envahissante ? Qui donc aura le courage de lever les masques et de gifler les visages glabres et bouffis des comédiens du nouveau mysticisme. N'est-elle pas désirable la brusque révolte des âmes nettes et des cerveaux équilibrés ? N'a-t-on pas le droit, à défaut des feux du ciel, de vouloir la torche et le glaive ?

N'est-il par irritant que les Brunetière et les de Vogüé en arrivent à sourire aux dieux inféconds, et peut-on formuler un plus beau désir que de voir la littérature française évoluer derechef vers le naturisme qui avec l'aide des sciences positives, saurait conduire les âmes vers la vérité, cette unique gardienne des mœurs pures et des soifs permises ?

PIERRE SANDOZ.

THE ARTISTIC WEEK
(LITERATURE AND FINE ARTS)

A new storm of scandal has unleashed on London. British "respectability" is plagued with the smell of sulfur emanating from the ruins of ancient Gomorrah, and John Bull, once more unmasked, fulminates against "French vices"!

The attitude of certain English press on the subject of the Oscar Wilde affair is obviously idiotic, but that of certain Parisian newspapers is no less so. Because it must be confessed to the shame of our miserable time, the Lutetia of our decadents is no better than the capital of modest Albion. This Oscar Wilde, an aesthete back from Sodom and ripe for prison, has some serious rivals here. Adoré Floupette had children whose mysticism, sharpened by unmentionable desires, much prefers Bathyle to Glycère, to use Bergerat's expression, whose verve buds at the same time as the horse chestnut trees.

There would be a fine study to do to demonstrate that the "great mystical movement" of recent years is, in reality, only an erotic movement, outside the laws of nature, and that all genial power is impossible, as much among the aesthetes of France as among those of England. The famous English hypocrisy crossed the strait long ago; the divines of Paris are not far surpassed by those of London, if indeed they are. Among our too famous bards, whose origins and maneuvers I leave to the courts, how many could be forever stricken with ignominy! Hypocrites, as far as the depravity of morals is concerned, but we are more so than anyone else, because here are many guilty people taking the posture of judges!

Oh! the appalling end of the race! Neurosis has taken hold of the brain; the purity of feelings is equivalent to ignorance, we despise the retarded who want loyal loves to create healthy works; we are all about the glorification of split senses to the point of crime! Exaggeration, you might say. Nay. Starting from demonic actions to achieve horror, passing through an adventure in which a poet adored by the priestesses of Lesbos was the first actor, how many cases of "wildism" and "sadism" incredible and yet true are known and suffered! Where do these ignoble aberrations come from? Of the need of outrageous modernists not to be as simple as nature always is.

They thought, these riders of a maddened ideal, that to repeat what so many others had already said, for centuries and centuries, was to show themselves lacking in concepts. So they created the School of Obscene Lies for the use of the mediocre.

Yes, the infamy of morals which grows every day is the mark of mediocrity eager to impose itself at all costs, in defiance of the normal laws of passion. In fact, I defy anyone to quote me a work of value, both in poets and in musicians or painters who walk from beer halls to closed rooms, their theories of the insexual, to end up in turpid actions like to corrupting tasks.

Who will sweep away this invasive peat? Who will have the courage to lift the masks and slap the hairless and puffy faces of the actors of the new mysticism? Isn't it desirable the sudden revolt of clear souls and balanced brains? Do we not have the right, in default of the fires of heaven, to want the torch and the sword?

Isn't it irritating that the Brunetières and the de Vogüé come to smile at the barren gods, and can we formulate a finer desire than to see French literature evolve once again towards naturism which, with the help of the positive sciences , know how to lead souls towards the truth, this sole guardian of pure morals and permitted thirsts?

PETER SANDOZ.

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