LA BARBARIE

On a beaucoup parlé ces jours-ci de M. Oscar Wilde et de sa récente condamnation. Dans les commentaires qu’on a faits sur le cas de l’esthète anglais, on n’a pas manqué de faire remarquer ce qu’il entrait de littérature et de civilisation trop raffinée. Mais ce qu’oh n’a pas dit assez à mon gré, c’est combien cette condamnation était inique et surtout combien le châtiment appliqué à ce détraqué était barbare. Quels que soient les droits que la société prétende avoir sur l’individu, ces droits, chez un peuple véritablement civilisé, doivent avoir une limite. Il me parait que lorsqu’un homme ne fait de tort à personne, n’use vis-à-vis du prochain ni de ruse ni de violence, n’est enfin pas même une cause de scandale par ses actes qui restent secrets, nul n’a le droit de s’enquérir de ses goûts en matière de moeurs, pas plus qu’il n’aurait le droit de le faire en matière d’opinions philosophiques ou religieuses. Plus que quiconque, je trouve déplaisantes et ridicules les pratiques de l’amour unisexuel, et j’ai mené avec quelque vigueur une campagne contre les intellectuels qui, sous prétexte de rechercher l’absolu dans la plastique et dans le sentiment, s’écartent trop volontiers des vieilles et bonnes lois de la nature. C’est justement pour cela que j’ai le droit de dire bien haut que la condamnation de M. Wilde est tout simplement une iniquité. C'est une iniquité en soi, car il n’a offensé personne ; et c’est encore une iniquité parce que les actes pour lesquels il est condamné lui sont communs avec un grand nombre de personnes que l’on connaît et qu’on laisse tranquilles. La plus juste des lois devient une loi injuste quand elle n’est pas également appliquée. Les fâcheuses habitudes qu’on parait avoir établies au compte de M. Wilde sont tout à fait ordinaires dans la société anglaise, triomphalement avouées par quelques-uns de ses membres, établies par des rapports de police qui ont transpiré dans le public, affirmés par des journaux qu’on n’a ni démentis ni poursuivis. Nous sommes donc en présence d’un acte arbitraire, abominable, inspiré par la pire hypocrisie. Et j’avoué sans embarras que le dégoût que pouvait […] l’esthète, je l’éprouve aujourd’hui pour ceux qui l’ont condamné.

On a beaucoup parlé ces jours-ci de M. Oscar Wilde et de sa récente condamnation. Dans les commentaires qu'on a faits sur le cas de l'esthète anglais, on n'a pas manqué de faire remarquer ce qu'il entrait de littérature et de civilisation trop raffinée. Mais ce qu'on n'a pas dit assez à mon gré, c'est combien cette condamnation était inique et surtout combien le châtiment appliqué à ce détraqué était barbare. Quels que soient les droits que la société prétende avoir sur l'individu, ces droits, chez un peuple véritablement civilisé, doivent avoir une limite. Il me paraît que lorsqu'un homme ne fait de tort à personne, n'use vis-à-vis du prochain ni de ruse ni de violence, n'est enfin pas même une cause de scandale par ses actes qui restent secrets, nul n'a le droit de s'enquérir de ses goûts en matière de mœurs, pas plus qu'il n'aurait le droit de le faire en matière d'opinions philosophiques ou religieuses. Plus que quiconque, je trouve déplaisantes et ridicules les pratiques de l'amour unisexuel, et j'ai mené avec quelque vigueur une campagne contre les intellectuels qui, sous prétexte de rechercher l'absolu dans la plastique et dans le sentiment, s'écartent trop volontiers des vieilles et bonnes lois de la nature. C'est justement pour cela que j'ai le droit de dire bien haut que la condamnation de M. Wilde est tout simplement une iniquité. C'est une iniquité en soi, car il n'a offensé personne ; et c'est encore une iniquité parce que les actes pour lesquels il est condamné lui sont communs avec un grand nombre de personnes que l'on connaît et qu'on laisse tranquilles. La plus juste des lois devient une loi injuste quand elle n'est pas également appliquée. Les fâcheuses habitudes qu'on parait avoir établies au compte de M. Wilde sont tout à fait ordinaires dans la société anglaise, triomphalement avouées par quelques-uns de ses membres, établies par des rapports de police qui ont transpiré dans le public, affirmés par des journaux qu'on n'a ni démentis ni poursuivis. Nous sommes donc en présence d'un acte arbitraire, abominable, inspiré par la pire hypocrisie. Et j'avoue sans embarras que le dégoût que pouvait me causer l'esthète, je l'éprouve aujourd'hui pour ceux qui l'ont condamné.

Encore pourrait-on dire que la société anglaise a été effarée à la pensée que Londres devenait une Sodome sans soleil et une Gomorrhe sans parfum, que les juges n’ont pas voulu être des juristes, mais des censeurs de la moralité publique et qu’en condamnant M. Wilde, ils avaient voulu surtout avertir les esthètes et leur faire savoir que désormais ils ne resteraient pas impunis. C’est toujours une chose grave et dangereuse que la loi intervienne dans les questions de mœurs, lorsqu’il n’y a ni violence ni scandale en jeu, car, pour une philosophie un peu élevée, les questions de mœurs et les questions de conscience sont une seule et même chose. Mais enfin cette intervention est un système qui peut se défendre. Seulement, il paraîtra à tous les hommes raisonnables que la violation d'une loi morale ne peut guère comporter d'autre châtiment qu’un châtiment presque exclusivement moral.

Encore pourrait-on dire que la société anglaise a été effarée à la pensée que Londres devenait une Sodome sans soleil et une Gomorrhe sans parfum, que les juges n'ont pas voulu être des juristes, mais des censeurs de la moralité publique et qu'en condamnant M. Wilde, ils avaient voulu surtout avertir les esthètes et leur faire savoir que désormais ils ne resteraient pas impunis. C'est toujours une chose grave et dangereuse que la loi intervienne dans les questions de mœurs, lorsqu'il n'y a ni violence ni scandale en jeu, car, pour une philosophie un peu élevée, les questions de mœurs et les questions de conscience sont une seule et même chose. Mais enfin cette intervention est un système qui peut se défendre. Seulement, il paraîtra à tous les hommes raisonnables que la violation d'une loi morale ne peut guère comporter d'autre châtiment qu'un châtiment presque exclusivement moral.

Ainsi l’avait compris la société romaine. La note d'infamie dont les censeurs flétrissaient les débauchés trop cyniques n’avait pas de sanction pénale. Elle suffisait à disqualifier dans la société le citoyen qui en avait été l’objet. Une fois établi que M. Wilde n’était plus un gentleman qu’on pût recevoir, il suffisait d’un emprisonnement de quelques jours pour consacrer sa déchéance, d’ailleurs aggravée par sa ruine, car son nom a disparu des affiches de théâtre et ses livres ne sont plus mis en ente chez les libraires.

Ainsi l'avait compris la société romaine. La note d'infamie dont les censeurs flétrissaient les débauchés trop cyniques n'avait pas de sanction pénale. Elle suffisait à disqualifier dans la société le citoyen qui en avait été l'objet. Une fois établi que M. Wilde n'était plus un gentleman qu'on pût recevoir, il suffisait d'un emprisonnement de quelques jours pour consacrer sa déchéance, d'ailleurs aggravée par sa ruine, car son nom a disparu des affiches de théâtre et ses livres ne sont plus mis en vente chez les libraires.

Mais les Anglais ne se sont pas contentés à si bon marché. Ils ont condamné M. Wilde à deux ans de « hard labour». S’ils ne l'ont pas condamné à une peine plus longue, c'est qu'au bout de deux ans de dur travail le condamné meurt. Le « hard labour» doit être, j’en jurerais, une invention de philanthrope et un coup de génie de l'esprit protestant. Il combine en effet le régime de la cellule, excellent, nous dit-on, pour la guérison des âmes, avec un supplice permanent fait pour mortifier les corps. Ce supplice, un correspondant anglais du Temps nous l’a décrit par le menu. Le condamné doit se suspendre par les mains à des anneaux et peser avec les pieds sur les palettes d'une roue qui tourne devant sa cellule. S’il hésite, un gardien placé derrière lui lui allonge un coup de fouet. S’il s'arrête, la roue l’atteint et le blesse au pied. S’il trébuche, il risque de se casser la jambe.

Mais les Anglais ne se sont pas contentés à si bon marché. Ils ont condamné M. Wilde à deux ans de « hard labour ». S'ils ne l'ont pas condamné à une peine plus longue, c'est qu'au bout de deux ans de dur travail le condamné meurt. Le « hard labour » doit être, j'en jurerais, une invention de philanthrope et un coup de génie de l'esprit protestant. Il combine en effet le régime de la cellule, excellent, nous dit-on, pour, la guérison des âmes, avec un supplice permanent fait pour mortifier les corps. Ce supplice, un correspondant anglais du Temps nous l'a décrit par le menu. Le condamné doit se suspendre par les mains à des anneaux et peser avec les pieds sur les palettes d'une roue qui tourne devant sa cellule. S'il hésite, un gardien placé derrière lui lui allonge un coup de fouet. S'il s'arrête, la roue l'atteint et le blesse au pied. S'il trébuche, il risque de se casser la jambe.

S'il refuse, on lui applique la peine du fouet avec le chat à neuf queues qui, du premier coup, emporte la peau et fait une plaie vive sur les reins du patient. Comme le travail du moulin tuerait celui qui le fait s’il se prolongeait plus de deux ou trois heures par jour, le reste du temps doit être employé par le condamné à faire de l’étoupe avec de vieux cordages goudronnés. Ceci parait d’abord un travail facile, comparable à la confection des chaussons de lisière ou des chapeaux de paille qu’on fabrique dans nos prisons. Mais, étant donnée la quantité d’étoupe qu’on exige et la dureté des cordages, l’effort nécessaire est tel que la peau s’use, que les poignets enflent et que les doigts ne deviennent qu’une plaie. Sur quoi, la science étant une belle chose aux mains des hommes, on envoie le prisonnier à l’infirmerie, on le cautérise et par un traitement ingénieux et rapide on le met en état de recommencer à souffrir. Que si le malheureux, à force d’adresse, arrivait à fournir la quantité réglementaire d’étoupe, ceci relui servirait de rien; en ce cas, on augmente cette quantité, jusqu’à ce qu’on ait obtenu le résultat voulu qui est de briser les bras du prisonnier à l'établi, comme on lui a brisé les jambes au moulin. Il va de soi que la nourriture de la prison est telle qu’elle suffit tout juste au condamné pour ne pas mourir de faim. Et, comme il faut en tout mêler un peu de comique à la cruauté la plus atroce, le condamné tondu et rasé, couché d’ailleurs sur une planche sans couverture, est revêtu d’un costume de clown blanc sur lequel sont peints des trèfles noirs. Tel est le traitement auquel les juges d’un pays civilisé et civilisateur ont condamné un simple nigaud qui, la tête tournée par des théories littéraires, s’est avisé de faire l’amour d’une façon non conformiste, suivant en cela l'exemple des trois quarts des gens bien élevés de la société anglaise qui font la fête.

S'il refuse, on lui applique la peine du fouet avec le chat à neuf queues qui, du prémier coup, emporte la peau et fait une plaie vive sur les reins du patient. Comme le travail du moulin tuerait celui qui le fait s'il se prolongeait plus de deux ou trois heures par jour, le reste du temps doit être employé par le condamné à faire de l'étoupe avec de vieux cordages goudronnés. Ceci paraît d'abord un travail facile, comparable à la confection des chaussons de lisière ou des chapeaux de paille qu'on fabrique dans nos prisons. Mais, étant donnée la quantité d'étoupe qu'on exige et la dureté des cordages, l'effort nécessaire est tel que la peau s'use, que les poignets enflent et que les doigts ne deviennent qu'une plaie. Sur quoi, la science étant une belle chose aux mains des hommes, on envoie le prisonnier à l'infirmerie, on le cautérise et par un traitement ingénieux et rapide on le met en état de recommencer à souffrir. Que si le malheureux, à force d'adresse, arrivait à fournir la quantité réglementaire d'étoupe, ceci ne lui servirait de rien ; en ce cas, on augmente cette quantité, jusqu'à ce qu'on ait obtenu le résultat voulu qui est de briser les bras du prisonnier à l'établi, comme on lui a brisé les jambes au moulin. Il va de soi que la nourriture de la prison est telle qu'elle suffit tout juste au condamné pour ne pas mourir de faim. Et, comme il faut en tout mêler un peu de comique à la cruauté la plus atroce, le condamné tondu et rasé, couché d'ailleurs sur une planche sans couverture, est revêtu d'un costume de clown blanc sur lequel sont peints des trèfles noirs. Tel est le traitement auquel les juges d'un pays civilisé et civilisateur ont condamné un simple nigaud qui, la tête tournée par des théories littéraires, s'est avisé de faire l'amour d'une façon non conformiste, suivant en cela l'exemple des trois quarts des gens bien élevés de la société anglaise qui font la fête.

Ainsi donc la torture abolie, alors qu’elle avait pour excuse la nécessité d’arracher des aveux au coupable, existe encore dans la loi anglaise. Les Anglais diront ce qu’ils voudront. Les faits parlent et les plaies saignent et ce sang, nous pouvons le leur jeter à la face. Il s’agit tellement ici d’une torture préméditée et voulue, que, lorsque le condamné entre dans la prison, on le pèse et il faut qu'il maigrisse. S’il ne maigrissait pas, on augmenterait la durée de son travail. En songeant à ces horreurs, ma pensée se reporte vers l’admirable tableau que Flaubert a tracé de la barbarie carthaginoise. Il me semble que je revois ces suffètes gorgés de nourriture et bouffis de graisse pour qui l’obésité était comme la marque extérieure de la richesse et qui regardaient maigrir et mourir de faim les mercenaires et les esclaves prisonniers. Les becs de gaz, les chemins de fer et les sonneries électriques ne changent pas l’âme des hommes.

Ainsi donc la torture abolie, alors qu'elle avait pour excuse la nécessité d'arracher des aveux au coupable, existe encore dans la loi anglaise. Les Anglais diront ce qu'ils voudront. Les faits parlent et les plaies saignent et ce sang, nous pouvons le leur jeter à la face. Il s'agit tellement ici d'une torture préméditée et voulue, que, lorsque le condamné entre dans la prison, on le pèse et il faut qu'il maigrisse. S'il ne maigrissait pas, on augmenterait la durée de son travail. En songeant à ces horreurs, ma pensée se reporte vers l'admirable tableau que Flaubert a tracé de la barbarie carthaginoise. Il me semble que je revois ces suffètes gorgés de nourriture et bouffis de graisse pour qui l'obésité était comme la marque extérieure de la richesse et qui regardaient maigrir et mourir de faim les mercenaires et les esclaves prisonniers. Les becs de gaz, les chemins de fer et les sonneries électriques ne changent pas l'âme des hommes.

C’est la commune erreur de croire que le progrès scientifique est adéquat à ce qu’on appelle la civilisation. Celle-ci est constituée tout entière par l’état des âmes, par le plus ou moins de bonté et d’équité qui sont en elles. Un Arya des temps védiques étaient cent fois plus civilisé dans sa hutte que nous ne le sommes dans nos palais. Le bien-être physique risque d’être tout au contraire une source de barbarie en développant outre mesure la nécessité et par là, le goût et la puissance de la richesse. On a pu dire que le goût de la propriété était un aliment nécessaire à l’activité humaine, mais ce qui ne peut se nier, c’est que ce goût conduit à l’abaissement des cœurs et à la férocité des lois. L’esprit punique, si caractéristique à ce point de vue et qui s’allie d’ailleurs avec le génie du négoce poussé jusqu’à l’héroïsme, est devenu non seulement l’esprit de la Carthage londonienne, mais encore il envahit toute notre civilisation. La loi française, pour rentrer chez nous, est une loi absolument barbare. La disproportion est effroyable entre les châtiments qu’on inflige à ceux qui ont porté atteinte aux personnes et les traitements auxquels sont exposés ceux qui, même involontairement, ont porté atteinte à la divinité de l’argent. Ces jours-ci, on a condamné aux travaux forcés à perpétuité deux hommes qui avaient fabriqué deux ou trois pièces de cent sous en plomb. Il coûte moins cher de calomnier les gens, de les insulter et même de les frapper et de les tuer. On peut être mauvais citoyen, manquer à sa parole, commettre journellement cent méfaits qui violent la loi morale la plus élémentaire, il en coûtera moins que de ne pouvoir payer une dette.

C'est la commune erreur de croire que le progrès scientifique est adéquat à ce qu'on appelle la civilisation. Celle-ci est constituée tout entière par l'état des âmes, par le plus ou moins de bonté et d'équité qui sont en elles. Un Arya des temps védiques étaient cent fois plus civilisé dans sa hutte que nous ne le sommes dans nos palais. Le bien-être physique risque d'être tout au contraire une source de barbarie en développant outre mesure la nécessité et par là, le goût et la puissance de la richesse. On a pu dire que le goût de la propriété était un aliment nécessaire à l'activité humaine, mais ce qui ne peut se nier, c'est que ce goût conduit à l'abaissement des cœurs et à la férocité des lois. L'esprit punique, si caractéristique à ce point de vue et qui s'allie d'ailleurs avec le génie du négoce poussé jusqu'à l'héroïsme, est devenu non seulement l'esprit de la Carthage londonienne, mais encore il envahit toute notre civilisation. La loi française, pour rentrer chez nous, est une loi absolument barbare. La disproportion est effroyable entre les châtiments qu'on inflige à ceux qui ont porté atteinte aux personnes et les traitements auxquels sont exposés ceux qui, même involontairement, ont porté atteinte à la divinité de l'argent. Ces jours-ci, on a condamné aux travaux forcés à perpétuité deux hommes qui avaient fabriqué deux ou trois pièces de cent sous en plomb. Il coûte moins cher de calomnier les gens, de les insulter et même de les frapper et de les tuer. On peut être mauvais citoyen, manquer à sa parole, commettre journellement cent méfaits qui violent la loi morale la plus élémentaire, il en coûtera moins que de ne pouvoir payer une dette.

Aussi je tiens que nous vivons en pleine barbarie, que notre état moral est des pires, que l'esprit pudique, avoué ou hypocrite, nous domine et nous corrompt de toutes parts, et cette barbarie aspect civilisé est devenue féroce à ce point que je rêve sans ennui à cette grande loi de l’histoire qui veut que, lorsque les civilisations sont arrivées à un prétendu degré d’ordre qui n’est que l’expression d’une dureté sauvage, elles disparaissent devant une barbarie réelle qui conserve au moins quelques bons instincts de l’humanité.

Aussi je tiens que nous vivons en pleine barbarie, que notre état moral est des pires, que l'esprit punique, avoué ou hypocrite, nous domine et nous corrompt de toutes parts, et cette barbarie à aspect civilisé est devenue féroce à ce point que je rève sans ennui à cette grande loi de l'histoire qui veut que, lorsque les civilisations sont arrivées à un prétendu degré d'ordre qui n'est que l'expression d'une dureté sauvage, elles disparaissent devant une barbarie réelle qui conserve au moins quelques bons instincts de l'humanité.

BARBARISM

Much has been said these days about Mr. Oscar Wilde and his recent conviction. In the comments that have been made on the case of the English aesthete, we have not failed to point out what went into literature and over-refined civilization. But what oh hasn't said enough to my liking is how iniquitous this condemnation was and above all how barbaric the punishment applied to this crank was. Whatever rights society claims to have over the individual, those rights, among a truly civilized people, must have a limit. It seems to me that when a man does no harm to anyone, uses neither cunning nor violence towards his neighbor, is not even a cause of scandal by his acts which remain secret, no one does not have the right to inquire about his tastes in matters of morals, any more than he would have the right to do so in matters of philosophical or religious opinions. More than anyone else, I find the practices of unisexual love distasteful and ridiculous, and I have waged a campaign with some vigor against intellectuals who, under the pretext of seeking the absolute in plasticity and in sentiment, stray too willingly of the old and good laws of nature. This is precisely why I have the right to say out loud that the conviction of Mr. Wilde is quite simply an inequity. This is iniquity in itself, for he offended no one; and it is still an iniquity because the acts for which he is condemned are common to him with a great number of people whom we know and whom we leave alone. The fairest of laws becomes an unjust law when it is not equally enforced. The unfortunate habits which Mr. Wilde seems to have established are quite common in English society, triumphantly avowed by some of its members, established by police reports which have transpired in the public, affirmed by newspapers that have neither been denied nor prosecuted. We are therefore in the presence of an arbitrary, abominable act, inspired by the worst hypocrisy. And I admitted without embarrassment that the disgust that could […] the esthete, I feel today for those who condemned him.

Still one could say that English society was terrified at the thought that London was becoming a sunless Sodom and a perfumeless Gomorrah, that the judges did not want to be jurists, but censors of public morality and that in condemning Mr. Wilde, they had above all wanted to warn aesthetes and let them know that henceforth they would not go unpunished. It is always a serious and dangerous thing for the law to intervene in questions of morals, when there is neither violence nor scandal involved, because, for a somewhat lofty philosophy, questions of morals and questions of consciousness are one and the same. But after all, this intervention is a system that can defend itself. Only, it will appear to all reasonable men that the violation of a moral law can hardly involve any other punishment than an almost exclusively moral one.

This was how Roman society understood it. The mark of infamy with which the censors stigmatized too cynical debauchees had no penal sanction. It sufficed to disqualify in society the citizen who had been its object. Once it had been established that Mr. Wilde was no longer a gentleman who could be entertained, a few days' imprisonment sufficed to consecrate his downfall, moreover aggravated by his ruin, for his name has disappeared from theater posters. and his books are no longer put up in bookstores.

But the English did not settle for so cheap. They sentenced Mr. Wilde to two years of “hard labour”. If they didn't sentence him to a longer sentence, it's because after two years of hard work the condemned man dies. "Hard ploughing" must be, I would swear, a philanthropic invention and a stroke of genius in the Protestant spirit. It combines in fact the regime of the cell, excellent, we are told, for the healing of souls, with a permanent torture made to mortify the body. This torture, an English correspondent for Le Temps described it to us in detail. The convict had to hang his hands from rings and press down with his feet on the pallets of a wheel which turned in front of his cell. If he hesitates, a guard placed behind him gives him a whiplash. If he stops, the wheel hits him and hurts his foot. If he stumbles, he risks breaking his leg.

If he refuses, the punishment of the whip with the nine-tailed cat is applied to him, which, at the first blow, carries off the skin and makes a living wound on the patient's kidneys. As the work of the mill would kill the one who does it if it lasted more than two or three hours a day, the rest of the time must be employed by the condemned man making tow with old tarred ropes. At first sight, this seems like easy work, comparable to making the selvedge slippers or the straw hats that we make in our prisons. But, given the quantity of tow required and the hardness of the ropes, the effort required is such that the skin wears away, the wrists swell and the fingers become nothing but a sore. Whereupon, science being a beautiful thing in the hands of men, the prisoner is sent to the infirmary, he is cauterized and by an ingenious and rapid treatment he is put in a condition to begin to suffer again. That if the unfortunate man, by dint of skill, managed to supply the regulatory quantity of tow, this would be of no use to him; in this case, this quantity is increased until the desired result is obtained, which is to break the prisoner's arms at the workbench, as his legs were broken at the mill. It goes without saying that the prison food is such that it is just enough for the condemned man not to starve. And, as it is necessary in everything to mix a little comedy with the most atrocious cruelty, the shorn and shaved condemned man, lying moreover on a board without cover, is dressed in a white clown's costume on which clovers are painted. black. Such is the treatment to which the judges of a civilized and civilizing country condemned a simple simpleton who, his head turned by literary theories, took it into his head to make love in a non-conformist way, following in this the example of three-quarters of well-bred people in English society partying.

Thus the torture abolished, while its excuse was the necessity of extracting a confession from the culprit, still exists in English law. The English will say what they want. Facts speak and wounds bleed and this blood we can throw in their face. This is so much a premeditated and deliberate torture that when the condemned man enters the prison, he is weighed and he has to lose weight. If he did not lose weight, we would increase the duration of his work. In thinking of these horrors, my thoughts return to the admirable picture that Flaubert has drawn of Carthaginian barbarism. It seems to me that I remember those suffetes gorged with food and bloated with fat for whom obesity was like the outward mark of wealth and who watched mercenaries and captive slaves grow thin and starve. Gaslights, railways and electric bells do not change the soul of men.

It is the common mistake to believe that scientific progress is adequate to what is called civilization. This is entirely constituted by the state of souls, by the greater or less of goodness and equity that are in them. An Arya of Vedic times was a hundred times more civilized in his hut than we are in our palaces. On the contrary, physical well-being risks being a source of barbarism by excessively developing the need and thereby the taste and power of wealth. It has been said that the taste for property was a necessary food for human activity, but what cannot be denied is that this taste leads to the lowering of hearts and the ferocity of laws. The Punic spirit, so characteristic from this point of view and which is allied moreover with the genius of trading pushed to the point of heroism, has become not only the spirit of London Carthage, but it also invades all our civilization. French law, to return home, is an absolutely barbaric law. The disproportion is appalling between the punishments inflicted on those who have harmed people and the treatment to which are exposed those who, even involuntarily, have harmed the divinity of money. In recent days, two men have been sentenced to forced labor for life for having made two or three hundred-sou coins out of lead. It costs less to slander people, insult them, and even beat and kill them. One can be a bad citizen, break one's word, commit a hundred misdeeds daily which violate the most elementary moral law, it will cost less than not being able to pay a debt.

So I hold that we live in the midst of barbarism, that our moral state is one of the worst, that the chaste spirit, avowed or hypocritical, dominates and corrupts us on all sides, and this barbarism with a civilized aspect has become so ferocious that I dream without boredom of this great law of history which states that when civilizations have reached a supposed degree of order which is only the expression of a savage harshness, they disappear before a real barbarism which preserves minus some good instincts of humanity.