SCANDALES ANGLAIS

Les Anglais doivent penser que, suivant l’expression de leur grand poète national, « il y a quelque chose de pourri », non plus « dans le royaume de Danemark », mais bien dans celui de sa Très Gracieuse Majesté l’impératrice et reine Victoria.

Les incidents du procès Oscar Wilde mettent en lumière devant toute l’Europe les mœurs familiales de cette vieille aristocratie britannique jusqu’à ce jour si arrogante, si orgueilleuse, si dure aux misères et aux faiblesses du peuple, si férocement égoïste, si renfermée dans son home seigneurial et féodal, si jalouse de ses privilèges, si infatuée de son histoire.

George Sand a écrit « les Maupras ». Quel Juvénal moderne nous retracera la physionomie de cette famille de Douglas, tellement invraisemblable qu’aucun romancier, aucun dramaturge, n’avait encore osé rien concevoir de pareil, s’accusant, se salissant, se déchirant avec fureur, se dégradant publiquement avec une sorte de frénésie maladive, appelant complaisamment les regards du public sur les hontes et sur les scandales de leur propre maison !

Ce marquis de Queensberry qui ouvre lui-même l’alcove de son fils — et quelle alcove ! — pour l’exhiber aux yeux du monde entier, qui, suivant l’accusation portée contre lui par le second de ses enfants, écrivait à sa belle-fille « des lettres d’une obscénité et d’une grossièreté incroyables », et qui tombe vaillamment à coups de canne sur l’héritier de son nom... ce descendant d’une race qui a donné à l’Angleterre des généraux, des hommes d’Etat, des pairs, et dont le blason est illustre, fait une curieuse figure dans cette fin de siècle où-tant de respects sont battus en brèche, où tant de vénérations s’écroulent. Je ne le crois pas destiné à étayer, par l’autorité morale de ses exemples, les forces chancelantes de l’aristocratie de son pays.

Son fils, lord Alfred Douglas, appartient désormais à la chronique judiciaire plus qu’à l’almanach de Goetha. Ses hauts faits seront inscrits au recueil des causes célèbres, et son nom sera attaché, dans l’histoire, au nom plébéien d’Oscar Wilde. Quand les insinuations du ministère public se seront effacées sous l’action bienfaisante du temps, une touchante légende se formera sans doute sur l’amitié de cet Oreste et de ce Pylade. Ils ne seront plus séparés.

Ce jeune homme se révèle aussi à nous d’une autre façon tout aussi intéressante : « Ce n’est pas moi, malheureusement, écrit-il à l’un de nos confrères, qui me suis battu avec mon père ! » Il reproche à ce père ses cruautés, ses débauches, et il exprime formellement le regret de ne lui avoir pas donné une correction. On voit avec quelle facilité s’opère dans ce pays, si longtemps fidèle à ses traditions, la transformation des usages familiaux. C’est le fils qui revendique publiquement le droit d’administrer une raclée à l’auteur de ses jours. La vieille morale sera remaniée de fond en comble.

C’est pour alimenter les vices de ces grandes familles déchues que des millions d’êtres humains, sur toute la surface du globe, fouillent les entrailles de la terre, sillonnent les océans, prodiguent leur activité et leurs peines : c’est pour que des Queensberry et des Douglas vivent dans le luxe que le fellah d’Egypte et le prolétaire irlandais s’épuisent et meurent dans un travail à peine rétribué.

Le scandale est éclatant, et l’iniquité devient criante. Un cri de révolte s’élèvera tôt ou tard de ces masses exploitées et opprimées. « L’Angleterre, a dit orgueilleusement un de ses lords, tiendra jusqu’au jour du jugement ». Mais les peuples jugent silencieusement dans leur conscience et, quand ils se décident à frapper, l’arrêt de destruction est depuis longtemps écrit dans les indignations de leurs cœurs.

La domination des castes privilégiées ne reste tolérable qu’à la condition de se justifier par la dignité des vertus privées ou par l’éclat des bienfaits publics. Si elle cesse d’être le lien et le frein des sociétés, pour devenir la risée des foules, elle se condamne elle-même aux chutes tragiques et retentissantes.

C’est dans le lit de Vitellius que commença l’agonie de l’empire romain.

Nous continuerons à lire avec gaieté les feuilles d’outre-Manche dénonçant à toute la terre la décadence des mœurs dans Paris, « la moderne Babylone ». Nous écouterons les prédications des clergymen mettant en garde les saints jeunes gens et les dévotes misses de Londres contre les corruptions françaises. Nous sommes trop dépravés pour arracher notre paille ; mais nous ne chercherons même pas à extirper la poutre qui obstrue l’œil de notre pieuse voisine. Nous la prions seulement de ne pas exporter ses Douglas.

LUCIEN MILLEVOYE.

ENGLISH SCANDALS

The English must think that, according to the expression of their great national poet, "there is something rotten", no longer "in the kingdom of Denmark", but indeed in that of Her Most Gracious Majesty the Empress and Queen Victoria.

The incidents of the Oscar Wilde trial bring to light before all of Europe the family mores of this old British aristocracy, until this day so arrogant, so proud, so hard on the miseries and weaknesses of the people, so ferociously selfish, so closed in her seigniorial and feudal home, so jealous of her privileges, so infatuated with her history.

George Sand wrote “Les Maupras”. Which modern Juvenal will retrace for us the physiognomy of this family of Douglas, so improbable that no novelist, no dramatist, had yet dared to conceive anything like it, accusing himself, dirtying himself, tearing himself apart with fury, degrading himself publicly with a a sort of sickly frenzy, complacently calling the public gaze to the shame and scandal of their own house!

This Marquess of Queensberry who himself opens his son's alcove—and what an alcove! — to exhibit it to the eyes of the whole world, which, according to the accusation brought against him by the second of his children, wrote to his daughter-in-law "letters of incredible obscenity and coarseness", and which falls valiantly with a cane on the heir of his name... this descendant of a race which gave England generals, statesmen, peers, and whose coat of arms is illustrious, makes a a curious figure in this end of the century where so much respect is shattered, where so much veneration crumbles. I do not believe it intended to support, by the moral authority of its examples, the wavering forces of the aristocracy of its country.

His son, Lord Alfred Douglas, now belongs more to the legal chronicle than to Goetha's almanac. His exploits will be inscribed in the collection of famous causes, and his name will be attached, in history, to the plebeian name of Oscar Wilde. When the insinuations of the public prosecutor have been effaced under the beneficent action of time, a touching legend will no doubt be formed on the friendship of this Orestes and this Pylades. They will no longer be separated.

This young man also reveals himself to us in another equally interesting way: “It was not I, unfortunately, he wrote to one of our colleagues, who fought with my father! He reproaches this father for his cruelties, his debauchery, and he formally expresses his regret at not having given him a correction. We see with what ease takes place in this country, so long faithful to its traditions, the transformation of family customs. It is the son who publicly claims the right to administer a beating to the author of his life. The old morality will be overhauled from top to bottom.

It is to feed the vices of these great fallen families that millions of human beings, all over the surface of the globe, search the bowels of the earth, roam the oceans, lavish their activity and their pains: it is so that Queensberries and Douglases live in luxury while the fellah of Egypt and the Irish proletarian wear themselves out and die in barely paid work.

The scandal is glaring, and the iniquity becomes flagrant. Sooner or later a cry of revolt will rise from these exploited and oppressed masses. "England," said one of her lords proudly, "will hold out until the day of judgment." But the peoples judge silently in their conscience and, when they decide to strike, the decree of destruction has long since been written in the indignation of their hearts.

The domination of the privileged castes remains tolerable only on condition of being justified by the dignity of private virtues or by the brilliance of public benefits. If it ceases to be the bond and the brake of societies, to become the laughingstock of the crowds, it condemns itself to tragic and resounding falls.

It was in the bed of Vitellius that the agony of the Roman Empire began.

We will continue to read with joy the newspapers from across the Channel denouncing to the whole world the decadence of morals in Paris, "the modern Babylon". We will listen to the sermons of the clergymen warning the holy young people and the devout misses of London against French corruptions. We are too depraved to pluck our straw; but we will not even seek to extricate the beam which obstructs the eye of our pious neighbor. We only ask her not to export her Douglas.

LUCIEN MILLEVOYE.

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