UNE TRISTE AFFAIRE

On a lu les détails du procès qui se déroule en ce moment devant le tribunal de Bow-Street. Quand je dis : détails, j’exagère un peu. Les détails ne pourraient être publiés dans un journal qui va dans toutes les mains. Il faudrait, pour le faire, traduire en latin les questions posées par les avocats, et les réponses de sir Oscar Wilde et de ses complices.

Ce procès serait tout simplement d’une ignoble banalité s’il n’avait mis en cause des personnages d’une grande notoriété et, surtout, si les faits ne s’étaient passés en Angleterre.

C’est une aventure fâcheuse pour la pudique Albion. Ces bons insulaires ne cessent de représenter la France, et surtout Paris, comme un foyer pestilentiel d’immoralité. Notre capitale n’est certes pas une ville où fleurit uniquement la vertu. Mais, du moins, l’hypocrisie n’y est pas en honneur. Nous exagérons plutôt nos vices, avec une sorte de fanfaronnade, tandis que nos voisins cachent les leurs. Ils feraient mieux de les guérir.

Le triste héros de cette affaire était, il y a un mois encore, fêté dans la haute société anglaise, membre de clubs fort aristocratiques. Pourtant, ses mœurs dissolues étaient connues, ainsi qu’il ressort de certaines dépositions. Mais, voilà, cela ne faisait pas scandale ! Maintenant que le scandale a éclaté, la justice anglaise va aller jusqu'au bout des pénalités. Et cet homme sera condamné au bagne, à perpétuité peut-être, — si les faits allégués sont tous exacts, — alors qu'il continuerait à être partout reçu dans le monde londonien, si les avocats n’avaient point dit tout haut, ce qui se répétait tout bas.

Je crois que, chez nous, on n'attendrait pas que le parquet emprisonnât un pareil monsieur, pour lui fermer au nez la porte de sa maison,

La pudeur anglaise ! Il faut la voir dans quelques-unes de ses manifestations officielles. Croirait-on qu’à l’Exposition universelle de Londres, on ne voulut pas admettre dans les vitrines certains ustensiles de cabinet de toilette à forme de guitare, et d’autres à tubes de caoutchouc ? C’était trop schoking ! Mais la police tolère fort bien qu’on se baigne sans caleçon dans la Tamise, et que certaine industrie étale ses marchandises animées, le soir, dans la plupart des rues et des squares.

Les conversations, entre gentlemen, n'ont certes pas le tour galant et débraillé qu’elles prennent, chez nous, au cours d’un dîner de garçons au cabaret. Les romans anglais ne décrivent pas avec complaisance, comme font les nôtres, trop souvent, les mœurs, plus ou moins exactement étudiées et analysées, des femmes galantes et des viveurs. Aussi est-il entendu que l’Anglais est de mœurs austères. Il est catalogué comme cela.

Mais arrivent, de temps en temps, des procès comme celui-ci ; il y en a eu cinq ou six depuis quelques années. Et alors on voit que ce vernis de « respectability » fond sous le feu des passions.

Cela n’empêchera pas demain les journaux méthodistes de dire encore : « Paris est la Babylone moderne... » Nous n’agissons pas de réciprocité. Aucun journal français n’a encore comparé Londres à Sodome.

Robinson.

A SAD AFFAIR

We have read the details of the trial which is now taking place in the Bow Street Court. When I say: details, I exaggerate a little. The details could not be published in a newspaper which goes into all hands. To do so, it would be necessary to translate into Latin the questions asked by the lawyers, and the answers of Sir Oscar Wilde and his accomplices.

This trial would simply be a despicable banality if it had not implicated people of great notoriety and, above all, if the facts had not happened in England.

It is an unfortunate adventure for modest Albion. These good islanders constantly represent France, and especially Paris, as a pestilential hotbed of immorality. Our capital is certainly not a city where only virtue flourishes. But, at least, hypocrisy is not honored there. We rather exaggerate our vices, with a kind of boast, while our neighbors hide theirs. They better heal them.

The sad hero of this affair was, until a month ago, celebrated in English high society, a member of very aristocratic clubs. However, his dissolute morals were known, as appears from certain depositions. But, there you go, it didn't cause a scandal! Now that the scandal has broken out, English justice will go through with the penalties. And this man will be condemned to prison, perhaps for life—if the alleged facts are all correct—while he would continue to be received everywhere in the London world, if the lawyers had not said aloud, this which repeated itself in a low voice.

I don't think we would wait for the public prosecutor's office to imprison such a gentleman to close the door of his house in his face.

English modesty! You have to see it in some of its official events. Would you believe that at the Universal Exhibition in London, they did not want to admit in the windows certain bathroom utensils in the shape of guitars, and others with rubber tubes? It was too shocking! But the police are quite tolerant of bathing in the Thames without underpants, and of certain industries displaying their bustling merchandise in the evenings in most of the streets and squares.

Conversations between gentlemen certainly don't have the gallant and slovenly turn they take on at home during a bachelor's dinner at a cabaret. English novels do not describe with complacency, as ours too often do, the more or less exactly studied and analyzed manners of gallant women and vivacious women. Also it is understood that the English are of austere morals. It is cataloged like that.

But, from time to time, trials like this happen; there have been five or six in the past few years. And then we see that this veneer of "respectability" melts under the fire of passions.

This will not prevent tomorrow the Methodist newspapers from saying again: "Paris is the modern Babylon..." We are not acting on reciprocity. No French newspaper has yet compared London to Sodom.

Robinson.

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