LETTRE D’ANGLETERRE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Londres, 25 juillet.
La vie de prison en Angleterre

Oscar Wilde vient d’être transféré de Pentonville à la prison de Wormwood Scrubs où il achèvera sa peine. Certains journaux français ont publié naguère, à propos de ce trop célèbre condamné, des détails tellement fantaisistes au sujet de la vie des prisonniers en Angleterre, qu’ils représentaient comme forcés d’accomplir des travaux dangereux sous le fouet de gardiens féroces, que pour rétablir la vérité des faits je veux vous donner aujourd’hui quelques renseignements sur la prison de Wormwood Scrubs que j’ai visitée, il y a un mois, en compagnie du suppléant du juge de paix du 4e arrondissement de Paris. Cette prison modèle a été construite, il y a quelques années, sur la lande dont elle porte le nom, laquelle sert de champ de manœuvre à la cavalerie de la garde royale. Ce sont les condamnés eux-mêmes qui l’ont bâtie. Lorsqu’on a franchi la lourde porte d’entrée, on ne se croirait pas dans une prison. On voit devant soi un riant jardin, et plus loin la chapelle protestante. Il y a également une chapelle catholique. Les condamnés y sont conduits tous les jours et reçoivent l’instruction de leurs aumôniers respectifs. La religion et le travail, tels sont les deux grands moyens à l’aide desquels on cherche à ramener au bien ces âmes égarées, et l’on y réussit souvent.

Plusieurs pavillons en briques rouges contiennent les cellules. Chaque détenu à la sienne, dans laquelle règne la propreté la plus scrupuleuse. L’ameublement est des plus simples : un escabeau, un lit composé d’une planche, d’une paillasse et d’une couple de couvertures, et c’est tout. Un bec de gaz éclaire la cellule le soir en hiver. Une pancarte apposée sur la porte indique le nom du condamné, sa religion, la nature du crime ou du délit dont il s’est rendu coupable, la date de sa condamnation, la durée de sa peine, le régime alimentaire qui lui est attribué, enfin les notes bonnes ou mauvaises qu’il a méritées.

Le condamné aux travaux forcés, pendant le premier mois de sa peine, est obligé de [...] faire tous les jours onze mille tours à une espèce de roue qu’on appelle crank. Cela ressemble à un grand moulin à café dont le manche serait placé en sens vertical. Ce n’est pas dur à tourner, mais ce qui doit surtout paraître pénible au détenu c’est qu’il se donne tout ce mal en pure perte, son travail n'étant d’aucune utilité à qui que ce soit. Outre son labeur d’Ixion, le condamné est tenu de fournir trois onces d’étoupes qu’il obtient en effilant de vieux cordages de marine pour compléter sa journée. Après le premier mois, s’il a un métier comme tailleur ou cordonnier, il travaille dans les ateliers, sinon en l’emploie à faire des sacs pour les dépêches de la poste, des hamacs pour la marine ou des paillassons.

Il y a quatre régimes alimentaires qui varient suivant la santé, la conduite des détenus, et surtout suivant la durée de leur détention. Ainsi pendant les premiers temps ils sont nourris à peu près exclusivement de gruau, sorte de brouet très clair, de bouillie de farine d’orge, avec une livre de pain par jour. Ce dernier est un pain de munition d’excellente qualité. Plus tard, s’ils se conduisent bien, ils ont un régime un peu plus substantiel ; on leur donne du cacao et même des fèves au lard. La viande n’est accordée que sur l’ordre écrit des médecins. Disons tout de suite qu’il y a deux de ces derniers attachés à la prison et que tout condamné peut exiger d’être conduit devant eux et examiné.

Le détenu est encouragé à bien se conduire et a travailler par plusieurs récompenses. Il obtient chaque jour un certain nombre de bons points, lesquels lui assurent à sa sortie de prison une petite somme qui ne dépasse jamais 10 shillings ; il voit son régime alimentaire amélioré ; il est autorisé à recevoir des visites de ses parents ou de ses amis ; enfin il peut être gratifié d’un billet d’élargissement conditionnel avant l’expiration de sa peine.

Pour les récalcitrants, il y a des punitions dont la principale est le cachot. Quant au fouet, il n’est appliqué qu’aux individus coupables de vol avec violence. Ceux-là sont condamnés par le juge, aux termes de la loi, à recevoir un certain nombre de coups de martinet (on appelle cela ici le chat à neuf queues), dans le cours de leur détention. Je dois constater que depuis l’introduction de cette peine dans la législation le nombre des étrangleurs (garotters) a diminué d’une façon satisfaisante pour le reste de la société.

Il y a environ 1,100 hommes détenus dans la prison de Wormwood Scrubs. Dans an autre corps de bâtiment se trouvent les femmes, au nombre d’environ 250. Les deux établissements sont placés sous le même gouverneur, un ancien capitaine de vaisseau. Mais une matrone a la direction spéciale de la prison des femmes. Celles-ci sont employées exclusivement au blanchissage et à les travaux de couture.

LETTER FROM ENGLAND
(FROM OUR PARTICULAR CORRESPONDENT)
London, July 25.
Prison life in England

Oscar Wilde has just been transferred from Pentonville to Wormwood Scrubs prison where he will complete his sentence. Some French newspapers had once published such fanciful details about this too famous convict about the life of the prisoners in England, whom they represented as being forced to do dangerous work under the whippings of fierce guards, that for to re-establish the truth of the facts I want to give you today some information on the prison of Wormwood Scrubs which I visited a month ago, accompanied by the deputy justice of the peace of the 4th arrondissement of Paris. This model prison was built a few years ago on the moorland it bears its name, which serves as a parade ground for the cavalry of the Royal Guard. It was the convicts themselves who built it. When you walked through the heavy front door, you wouldn't think you were in a prison. One sees in front of one a smiling garden, and further on the Protestant chapel. There is also a Catholic chapel. Convicts are taken there every day and receive instruction from their respective chaplains. Religion and work, such are the two great means by the aid of which one seeks to bring these lost souls back to good, and one often succeeds in doing so.

Several red brick pavilions contain the cells. Each prisoner has his own, in which the most scrupulous cleanliness reigns. The furniture is very simple: a stepladder, a bed made up of a board, a straw mattress and a couple of blankets, and that's all. A gaslight illuminates the cell in the evening in winter. A sign affixed to the door indicates the name of the convict, his religion, the nature of the crime or misdemeanor of which he is guilty, the date of his conviction, the length of his sentence, the diet which is attributed to him, finally the good or bad grades he deserved.

The condemned to hard labor, during the first month of his sentence, is [...] obliged to make eleven thousand turns every day on a kind of wheel called a crank. It looks like a large coffee grinder with the handle placed vertically. It's not hard to film, but what must especially seem painful to the prisoner is that he gives himself all this trouble in vain, his work being of no use to anyone. In addition to his Ixion labor, the condemned man is required to provide three ounces of tow, which he obtains by unraveling old marine ropes to complete his day. After the first month, if he has a trade as a tailor or shoemaker, he works in the workshops, if not employs it to make bags for the mails, hammocks for the navy or mats.

There are four diets which vary according to the health, the behavior of the detainees, and especially according to the length of their detention. Thus during the first times they are fed almost exclusively on gruel, a kind of very clear broth, barley flour porridge, with a pound of bread a day. The latter is an excellent quality ammunition bread. Later, if they behave well, they have a somewhat more substantial diet; they are given cocoa and even baked beans. Meat is granted only on the written order of doctors. Let's say right away that there are two of the latter attached to the prison and that any condemned person can demand to be brought before them and examined.

The prisoner is encouraged to behave well and to work by several rewards. He obtains a certain number of good points every day, which ensure him on his release from prison a small sum which never exceeds 10 shillings; he sees his diet improved; he is authorized to receive visits from his relatives or friends; finally, he can be granted a conditional release ticket before the expiration of his sentence.

For the recalcitrant, there are punishments, the main one being the dungeon. As for whipping, it is applied only to individuals guilty of theft with violence. These are condemned by the judge, under the terms of the law, to receive a certain number of blows from the whip (it is called here the cat with nine tails), in the course of their detention. I must note that since the introduction of this penalty into the legislation the number of stranglers (garotters) has diminished in a manner satisfactory to the rest of society.

There are approximately 1,100 men held in Wormwood Scrubs prison. In another body of the building are the women, numbering about 250. The two establishments are placed under the same governor, a former captain. But a matron has the special direction of the women's prison. These are used exclusively for laundry and sewing.

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