CHRONIQUE

Voici, assurément, une vilaine histoire, en Angleterre. Bien qu'on n'en puisse parler qu'avec réserve, il est permis de dire que ce n'était pas sans raison grave que les esprits sains gardaient quelque défiance contre les messieurs qui se promenaient un lys à la main, sous prétexte de fantaisie « esthétique », comme M. Oscar Wilde, initiateur de mouvements artistiques qui ébaubissaient une foule de gobe-mouches, même sur le Continent. On a vu quels abîmes de boue il y avait dans ces caprices excentriques.

L'art véritable ne peut pas être dans des folies. Il n'y a d'art que dans des manifestations simples et fortes, et, si fâcheux que soit le scandale, on peut être bien aise de cette lamentable démonstration, attestant qu'il n'y a qu'égarements et dangers hors de tout ce qui est franc et net.

Cette leçon suffira-t-elle à quelques-uns de nos « snobs » qui ne juraient que par les excentricités de là-bas ? Leur inspirera-t-elle de bonnes et un peu graves réflexions nécessaires ? L'esprit français, le bon sens français valent mieux, pourtant, que ces ridicules imitations de gamineries perverses.

Ceci dit, quelques réflexions me paraissent s'imposer. Depuis que M. Oscar Wilde, payant de sa liberté et de son honneur une plainte qu'il avait si imprudemment portée, a été arrêté, l'opinion relève malicieusement le contraste qu'il y a entre les faits écœurants qui ont été révélés et les affirmations de la pudeur britannique, et le vieux thème de l'hypocrisie anglaise reparaît prêtant à mille variations, dans la presse.

Et on rappelle, complaisamment, les ignominies dévoilées par la Pall Mall Gazette, l'affaire des petits télégraphistes, et les autres histoires abjectes qui, subitement, éclatèrent au grand jour. On les rapproche des faciles pudeurs de la vieille Albion aux dents longues, de ses indignations sur l'immoralité française, de ses prêches et de ses sermons sur notre légèreté.

Mon Dieu ! je ne dis point que le sujet ne prête pas. Il peut même être tentant pour notre esprit satirique. J'ajouterai, si l'on veut, que, d'une façon générale, il est assez agaçant pour nous, en effet, d'être fréquemment en butte aux vertueuses diatribes de gens qui ne sont pas toujours extrêmement autorisés pour nous les adresser.

Je crois, pourtant, qu'il peut être utile de s'élever contre les exagérations mutuelles, contre cette ancienne habitude qu'on a, en France et en Angleterre, de se hâter de tirer des conclusions mordantes et narquoises d'un fait exceptionnel. Elle aboutit à créer un état permanent d'irritation qui finit par empêcher les appréciations justes.

Quel pays n'a pas ses scandales ? Est-il équitable, dès qu'il s'en produit un, de s'écrier triomphalement, en Angleterre : « Vous voyez quels vices règnent en France ! » ; et en France : « Vous voyez quels gens sont ces Anglais ! » N'est-ce pas une mode absurde que de ne vouloir se connaître, pour ainsi dire, que par des faiblesses réciproques ? Pour les esprits modérés et sensés, rien n'est ridicule comme cette tendance à la généralisation.

D'un fait particulier, peut-on de bonne foi tirer un réquisitoire contre la corruption d'un pays ?

C'est une perpétuelle guerre à coups d'épingle entre les deux nations, et ce ne sont que publications mordantes sur leurs travers. J'accorde que le rigorisme extérieur de l'Angleterre, si sévère pour nos menues galanteries, soit choquant, à notre point de vue, témoigne d'un certain pharisaïsme qui répugne à notre libre et franche humeur française. Mais faut-il partir de là, quand nous apprenons quelque répugnante aventure, pour faire d'un coup le procès des moeurs anglaises ? Beaucoup de journaux n'ont pas manqué, ces jours-ci, de céder à cette sorte d'enfantillage, sans tenir compte du fait que, à l'égard de M. Oscar Wilde, tout célèbre qu'il fût comme poète, la justice anglaise a agi avec une sévère promptitude.

D'un autre côté, je me souviens avoir lu un livre qui eût été odieux, s'il n'eût été bête, avant tout, d'un Anglais, John Bull chez ses voisins. Ayant relevé, chez nous, quelques procès, quelques faits-divers, ayant découpé dans la presse quelques anecdotes, d'un caractère peu moral, il rédigea un factum stupide, où il prétendait affirmer que la vie française se peignait ainsi, par elle-même, sous un jour abominable. Il y était dit, entre autres aménités, que « les Français naissaient, vivaient et mouraient comme des chiens. » Et, plus récemment encore, un autre Anglais, qui signe, celui-là, M. Mathew-Arnold, écrivait gravement « que les Français étaient voués au culte de la lubricité. » Il n'y avait rien de plus stupide.

Nous sommes vraisemblablement portés par notre délicatesse naturelle, à ne point tomber dans de telles exagérations. Mais ce que nous écrivons volontiers, souvent simplement par tradition de raillerie, contre les Anglais, sur leur hypocrisie, sur leur mauvaise foi, sur leur intolérance, ne peut-il pas aussi les blesser ?

Une faute individuelle ne prouve rien contre la masse d'une nation. Les deux pays auraient à rechercher l'un chez l'autre, plus profitablement, autre chose que leurs scandales.

Il est étrange de penser que, si proches l'un de l'autre, ils se connaissent mal dans leur vie sérieuse, et qu'une sorte de démon les pousse à ne vouloir retenir que des imputations faites à la légère. C'est ce démon qui réussit à tout travestir de ce qui se passe des deux côtés du détroit. Nous connaissons des anecdotes ; nous restons mutuellement assez ignorants de ce que nous aurions intérêt à savoir, et il faut bien reconnaître que ce n'est que difficilement qu'on intéresse, en France ou en Angleterre, avec un travail impartial sur l'une ou l'autre de ces deux nations. Le lecteur attend toujours les plaisanteries satiriques dont il a l'habitude, et il souhaite plus d'être flatté dans son chauvinisme que d'être instruit.

Il n'est personne qui ne pourrait raconter immédiatement une foule d'historiettes ridiculisant les Anglais. Mais combien sont-ils, ceux qui pourraient citer, en connaissance de cause, des noms d'artistes, d'écrivains, de savants britanniques ! Et il en est de même en Angleterre. Un Londonnien a son stock de plaisanteries classiques à notre égard, mais que sait-il de ce qui est grand, franc, généreux dans notre vie nationale ?

Il y a. de part et d'autre, orgueil atavique pour refuser, presque, de se pénétrer. Et on en reste aux antiques et un peu sottes moqueries, où se mêle quelque fiel.

Il y a d'autres faits, un peu plus intéressants, tout de même, en Angleterre, que l'ignoble histoire de M. Oscar Wilde. Il y a, en France, des événements plus significatifs que certains oublis du devoir que relèvent triomphalement les feuilles d'outre-Manche. Quand donc, ici et là, s'avisera-t-on de parler dans un esprit plus large, plus dignement curieux, plus impartial ?

Vous direz, en vous rappelant le mot célèbre, avec une légère modification : que messieurs les Anglais commencent !

En faisant le compte, en effet, ils ont été plus souvent plus amers pour nous que nous ne l'avons été pour eux. Nous décochons des traits légers, ironiques, peu cruels au fond. Il n'ont pas, eux, cette légèreté, et ils ont souvent lancé de lourdes invectives.

Certes, il faudrait souhaiter qu'ils commençassent. Mais, nous autres, ne devenons-nous pas assez raisonnables pour comprendre que le véritable patriotisme ne consiste pas â dénigrer les autres pays ?

On a dit de la France et de l'Angleterre que c'étaient deux voisins qui se connaissaient depuis trop longtemps et qui se rencontraient trop souvent. Ainsi, comme les gens qui se trouvent dans cette situation, ils se jettent un regard hargneux, ils s'envoient un mot désagréable, en restent à une opinion préconçue, à des idées superficielles...

Des investigations mutuelles, poursuivies avec une curiosité de bonne foi, vaudraient mieux, cependant, que les vaines attaques, que les déductions aventureuses de cas particuliers qui, depuis si longtemps, alimentent les polémiques.

Paul Ginisty.

CHRONIC

Here, certainly, is an ugly story, in England. Although one can speak of it only with reserve, it is permissible to say that it was not without serious reason that sane minds retained some mistrust of gentlemen who walked around with a lily in their hands, under the pretext of "aesthetic" fantasy, like Mr. Oscar Wilde, initiator of artistic movements that stupefied a crowd of flycatchers, even on the Continent. We have seen what chasms of mud there were in these eccentric caprices.

True art cannot be in follies. There is no art except in simple and strong demonstrations, and however unfortunate the scandal may be, one can be very happy with this lamentable demonstration, attesting that there are only errors and dangers beyond everything that is frank and clear.

Will this lesson be enough for some of our "snobs" who swore only by the eccentricities over there? Will it inspire them with good and somewhat serious necessary reflections? The French spirit, the French good sense are worth more, however, than these ridiculous imitations of perverse childishness.

That said, a few thoughts seem to me to be in order. Since Mr. Oscar Wilde, paying with his freedom and his honor for a complaint he had so imprudently brought, was arrested, public opinion has maliciously raised the contrast between the disgusting facts which have been revealed and the affirmations of British modesty, and the old theme of English hypocrisy reappears, lending itself to a thousand variations, in the press.

And we recall, complacently, the ignominies unveiled by the Pall Mall Gazette, the affair of the small telegraphists, and the other abject stories which suddenly burst into the light of day. They are likened to the facile modesty of long-toothed old Albion, her indignation over French immorality, her sermons and sermons on our levity.

My God ! I am not saying that the subject does not lend itself. It may even be tempting to our satirical spirit. I will add, if you like, that, generally speaking, it is quite annoying for us, in fact, to be frequently the target of virtuous diatribes from people who are not always extremely authorized to address them to us. .

I believe, however, that it may be useful to protest against mutual exaggerations, against that old habit which we have, in France and in England, of hastening to draw biting and sardonic conclusions from an exceptional fact. . It results in creating a permanent state of irritation which ends up preventing correct assessments.

What country doesn't have its scandals? Is it fair, as soon as one occurs, to exclaim triumphantly in England: "You see what vices reign in France!" » ; and in France: “You see what people these English are! Isn't it an absurd fashion to want to know each other, so to speak, only through reciprocal weaknesses? To moderate and sensible minds, nothing is so ridiculous as this tendency to generalize.

From a particular fact, can one in good faith draw an indictment against the corruption of a country?

It's a perpetual pinprick war between the two nations, and it's just publications biting about their failings. I agree that England's outward rigor, so severe for our petty gallantries, is shocking, from our point of view, testifies to a certain self-righteousness which is repugnant to our free and frank French humor. But must we start from there, when we learn of some repugnant adventure, to suddenly put English morals on trial? Many newspapers have not failed, these days, to yield to this kind of childishness, without taking into account the fact that, with regard to M. Oscar Wilde, however famous he was as a poet, the English justice acted with severe promptitude.

On the other hand, I remember having read a book which would have been odious, if it had not been stupid, above all, by an Englishman, John Bull at his neighbours. Having picked up a few lawsuits, a few miscellaneous facts, having cut out a few anecdotes from the press, of a less than moral character, he wrote a stupid factum, in which he claimed to affirm that French life was depicted in this way, by itself. even, in an abominable light. It said, among other amenities, that “the French were born, lived and died like dogs. And, even more recently, another Englishman, Mr. Mathew-Arnold, wrote gravely "that the French were devoted to the cult of lechery." There was nothing more stupid.

We are probably led by our natural delicacy not to fall into such exaggerations. But what we write willingly, often simply out of a tradition of mockery, against the English, on their hypocrisy, on their bad faith, on their intolerance, can it not also hurt them?

An individual fault proves nothing against the mass of a nation. The two countries would have to seek in each other, more profitably, something other than their scandals.

It is strange to think that, so close to each other, they do not know each other well in their serious life, and that a sort of demon pushes them to want to remember only lightly made imputations. It is this demon who manages to misrepresent everything that is happening on both sides of the strait. We know anecdotes; we remain mutually quite ignorant of what we would benefit from knowing, and it must be recognized that it is only with difficulty that one interests, in France or in England, with an impartial work on one or the other of these two nations. The reader still expects the satirical jokes of which he is accustomed, and he wishes more to be flattered in his chauvinism than to be instructed.

There is no one who could not immediately tell a host of short stories ridiculing the English. But how many are there who could knowingly cite the names of British artists, writers and scholars! And it is the same in England. A Londoner has his stock of classic jokes about us, but what does he know of what is great, frank, generous in our national life?

There are. on both sides, atavistic pride to refuse, almost, to penetrate. And we are left with the ancient and somewhat silly mockery, in which some gall is mixed.

There are other facts, a little more interesting, all the same, in England, than the ignoble story of Mr. Oscar Wilde. There are, in France, events more significant than certain oversights of duty which the papers across the Channel triumphantly report. When then, here and there, will we take it into our heads to speak in a broader spirit, more worthily curious, more impartial?

You will say, remembering the famous word, with a slight modification: let the English gentlemen begin!

Taking the count, in fact, they have been more often more bitter for us than we have been for them. We shoot light, ironic lines, basically not very cruel. They do not have this lightness, and they have often launched heavy invectives.

Certainly, one would have to wish that they started. But aren't the rest of us becoming reasonable enough to understand that true patriotism does not consist in denigrating other countries?

It has been said of France and England that they were two neighbors who had known each other too long and who met too often. So, like people who find themselves in this situation, they give each other a surly look, they send each other an unpleasant word, they remain with a preconceived opinion, with superficial ideas...

Mutual investigations, pursued with a curiosity of good faith, would be better, however, than the vain attacks, than the adventurous deductions from particular cases which, for so long, have fueled the polemics.

Paul Ginisty.

Document matches
None found