TERRAIN DE CONCILIATION

L’esthète Oscar Wilde n’a point su se concilier les bonnes grâces de la presse, qui s’est montrée particulièrement cruelle à son égard. Il y a là une évidente injustice qu’il serait peut-être temps de réparer. Oscar Wilde devrait être loué hautement, au moins par nous, de ce qu’il a fait, à l’instar de ceux-là qui nous ont apporté de grandes découvertes. Grâce à son aventure, en effet, le caractère anglo-saxon nous est apparu, définitivement, dans sa plénitude, et il n’a plus rien de caché pour le monde.

Tant qu’il n’était point arrêté, on n’avait pas assez de sourires, de saluts, d’admirations pour ce poupin personnage, gras, rose et glabre. Et pourtant en n’ignorait point les motifs de sa matérielle misogynie. Peu importait puisque officiellement on ignorait son vice.

Or, voici que la justice britannique éprouve le besoin d’embarrasser l’écrivain dans l’exercice de ses passions, et aussitôt ce même monde, à qui cet examen public n’apprend pourtant rien, jette des cris d’orfraie et se voile le visage — en écartant les doigts pour ne point perdre la vue de ce qui se passe.

Ses photographies, autrefois, on les collectionnait : a la voirie les images !

Ses romans, autrefois, on se les arrachait : au pilon les volumes !

Ses œuvres dramatiques, autrefois, en s’y pressait : au ruisseau les affiches !

Du moment qu’Oscar Wilde est poursuivi pour outrages aux bonnes mœurs, ses œuvres deviennent impures inéluctablement.

Les Anglais se vendent de leur tolérance, passée pour l'homme, par ce prurit de pudeur qui porte aujourd'hui jusque sur les ouvrages innocents de l’accusé de Bow-Street.

Et cette colère anglicane, cette fureur de puritanisme s’est étendue, s’est développée, a traversé l’Atlantique. Là-bas, aux Etats-Unis, on agit comme en Angleterre. Les œuvres de l’esthète sont réprouvées et maudites, fussent-elles plus honnêtes que les productions de Mme de Ségur et que toute la Bibliothèque rose réunie.

Les vieux ennemis, les irréconciliables adversaires, le flegmatique John Bull et le fougueux frère Jonathan, ont enfin trouvé un terrain d’entente : l’Hypocrisie.

H. DE W

GROUND OF CONCILIATION

Esthete Oscar Wilde failed to win the good graces of the press, which was particularly cruel to him. There is an obvious injustice here that it might be time to repair. Oscar Wilde should be highly praised, at least by us, for what he did, like those who brought us great discoveries. Thanks to his adventure, in fact, the Anglo-Saxon character appeared to us, definitively, in its plenitude, and there is nothing more hidden from the world.

As long as he was not arrested, there were not enough smiles, greetings, admiration for this chubby personage, fat, pink and hairless. And yet he was not unaware of the motives of his material misogyny. It didn't matter since officially we were unaware of his vice.

Now, here is that British justice feels the need to embarrass the writer in the exercise of his passions, and immediately this same world, to which this public examination does not however teach anything, utters outrageous cries and veils itself the face — spreading the fingers so as not to lose sight of what is happening.

His photographs, in the past, were collected: on the road, the images!

His novels, in the past, we tore them away: pestle the volumes!

His dramatic works, in the past, thronged there: to the stream the posters!

As soon as Oscar Wilde is prosecuted for outrages against good morals, his works inevitably become impure.

The English sell themselves for their tolerance, passed for the man, by this pruritus of modesty which affects today even the innocent works of the accused of Bow-Street.

And this Anglican anger, this fury of puritanism spread, developed, crossed the Atlantic. There, in the United States, we act like in England. The works of the aesthete are condemned and cursed, were they more honest than the productions of Madame de Ségur and than the entire Pink Library put together.

The old enemies, the irreconcilable adversaries, the phlegmatic John Bull and the fiery brother Jonathan, have finally found common ground: Hypocrisy.

H.DE W

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