Le Peuple - Tuesday, November 26, 1895

Pétition en faveur d'Oscar Wilde. – Voici le texte d'une pétition qui sera adressée à la reine Victoria :

« A Sa Très Excellente Majesté la Reine. » Madame, Les soussignes, agissant uniquement au nom de l'Humanité et de l'Art, et sans se préoccuper de la culpabilité du condamné, seraient heureux de voir accorder à M. Oscar Wilde une grâce complète ou, sinon, une commutation de peine. »

Sous ce texte français sera placée la traduction anglaise.

Puis viendront les signatures des principaux écrivains de France et d'Angleterre.

Enfin la formule de salutation que voici :

« Nous sommes, avec la plus profonde vénération, madame, de Votre Majesté, les très respectueux serviteurs ...

L'étiquette de la Cour d'Angleterre voulant que toutes les pétitions soient soumises à la reine par l'intermédiaire du ministre de l'intérieur, la lettre suivante sera envoyée à ce dernier:

« A l'honorable sir Mathew White Ridley, membre du parlement, baronnet, ministre de l'intérieur.

» Monsieur, Nous les sousignées, avons l'honneur de vous présenter la pétition ci-incluse, en faveur de M. Oscar Wilde, et de vons prier de la transmettre à Sa Gracieuse Majesté la Reine. »

Le Matin a fait une enquête parmi les hommes de lettres français les plus illustres dont les noms avaient été prononcés à propos de la pétition.

M. Alphonse Daudet ne croit pas à l'utilité de la pétition.

Il pense qu'elle aurait simplement pour effet d'aggraver la situation d'Oscar Wilde, car les Anglais n'aiment pas beaucoup qu'on s'occupe de leurs affaires.

M. Victorien Sardon dit que c'est une boue trop immoode pour qu'il s'en mêle de quelque façon qu'il soit.

M. Barrès a connu Oscar Wilde dans son voyage à Londres et le romancier anglais lui a toujours été antipathique. Il réserve son adhésion.

M. Maurice Donnay signera avec joie comme il a signé jadis une pétition en faveur ies anarchistes. Il n'approuve évidemment pas les vices d'Oscar Wilde, mais il ne reconnait pas à une société hypocrite le droit de le châtier. J'estime, dit-il, que la liberté de chacun doit être complète quand elle n'entrave par la liberté d'autrui.

Le Matin - Sunday, November 24, 1895

On a annoncé que le directeur d'un journal littéraire, la Plume, allait prendre l'initiative d'une pétition en faveur d'Oscar Wilde, sur l'initiative d'un poète américain, M. Stuart Merrill.

Il s'agit d'obtenir la signature des hommes qui, en France et en Angleterre, se sont fait une célébrité dans la littérature de ce temps. Le journal qui, le premier, a annoncé cette nouvelle, a déclaré qu'on espérait ainsi obtenir une libération anticipée du prisonnier qui en ce moment expie cruellement dans le hart labour les extravagances de son imagination.

Nous avons pensé qu'il serait intéressant de faire à ce sujet une rapide enquête parmi les hommes de lettres français les plus illustres, dont les noms mêmes avaient été prononcés, à propos de cette pétition.

M. A. Daudet hésite.

Nous n'avons pas eu la chance de rencontrer M. Emile Zola, momentanément absent, mais voici ce que nous a déclaré M. Alphonse Daudet :

« Avant tout, je désire savoir en quelle compagnie il me sera possible de manifester. Certes, il n'y a pas de douanes au pays des lettres, mais c'est justement pour cela qu'il est indispensable de connaître ses compagnons. Je ne puis, à ce sujet, donner de suite, avec la précision que vous demandez, une opinion certaine. J'ai connu Oscar Wilde, il est venu me voir durant ses voyages en France. C'était incontestablement un homme de talent. Mais sa vie a été répugnante, elle désarme même la pitié. Néanmoins, il y a une longue distance entre le châtiment et la torture. Contre la torture, il est permis à tous de protester. Mais qui peut dire que nos protestations serviront à quelque chose ? Les Anglais n'aiment pas beaucoup qu'on se mêle de leurs affaires. Je crains bien que cette protestation des hommes de lettres français n'aille contre le but même qu'on se propose et n'aggrave au contraire la situation du prisonnier. Oscar Wilde est un malheureux détraqué. J'ai horreur de ses actes, mais à quoi bon aggraver inutilement ses souffrances ? »

M. Sardou refuse.

Nous sommes allé ensuite trouver M. Victorien Sardou.

— C'est une boue trop immonde, nous a-t-il dit, pour que je m'en mêle, de quelque façon que ce soit. Il vient de la pitié pour ce malheureux. Mais les vices odieux dont nous voyons autour de nous le développement m'indignent. Je ne veux même pas m'occuper une seconde de tout cela. Cela ne nous regarde pas.

M. Barrès se réserve.

C'est ensuite à M. Barrès que nous nous sommes adressé.

— J'ai, en effet, connu Oscar Wilde, nous dit-il. Dans un voyage à Londres, j'avais été mis en rapport avec lui par le peintre Burn Johnes et M. Harris, le directeur de la Revue du XIXe Siècle (Nine teath Centary Review). Quand Oscar Wilde vint à Paris, je le reçus avec politesse, et je l'invitai à déjeuner chez Voisin. J'avoue qu'il ne me plaisait pas. Il avait une tournure d'esprit particulière, qui d'ordinaire, chez les commis voyageurs dans la vie vulgaire, se traduit par la recherche des combles. Il avait beaucoup lu Baudelaire et Barbey d'Aurevilly. Je préfère, et de beaucoup, les esprits plus précis. Son procès a été affreux, j'en ai lu tous les détails. Devant la précision des accusations, le malheureux s'est écroulé. C'est un fou, il ne faut pas s'étonner outre mesure de la condamnation qui l'a frappé.

» Nous ne pouvons nous étonner de la condamnation qui l'a frappé. Mais, si nous admettons le châtiment, nous ne pouvons admettre la torture.

» Seulement, à quoi peut servir notre protestation ? Nous demandons déjà aux Anglais Arton et Cornélius Herz, que penseront-ils de nous si nous leur demandons encore Oscar Wilde ?

» Certes, le hart labour est une chose affreuse, mais c'est une affaire anglaise dans laquelle nous n'avons pas à nous mêler. Les Anglais, qui ne veulent pas que le travail des prisonniers fasse concurrence au travail libre, l'ont imaginé pour que les prisonniers ne restent pas inoccupés. Tous les grands écrivains anglais, Dickens notamment, ont protesté contre le hart labour. Cela n'a servi à rien. Serons-nous plus heureux ? c'est douteux. Si réellement la pétition dont on a parlé est soumise à l'approbation des hommes de lettres, je réserve mon adhésion. »

L'auteur d' « Amants » signera.

Nous avons pensé qu'il serait intéressant de clore cette enquête par l'appréciation d'un jeune écrivain. Nous sommes allé trouver celui-là même que le succès vient de consacrer, M. Maurice Donnay, l'heureux auteur d'Amants.

— Je ne sais si cette pétition servira à quelque chose, nous a-t-il dit, mais si on me la soumet, je la signerai avec joie, comme jadis j'ai signé la pétition demandant la mise en liberté de Gégout. Je trouvais tout à fait inique qu'on mît en prison les anarchistes. Oscar Wilde est un anarchiste d'un autre genre. Certes, j'ai une horreur profonde pour ce qu'a fait le poète anglais ; mais la soeiété actuelle, en Angleterre comme en France, est-elle donc assez pure pour pouvoir ainsi non seulement frapper, mais torturer celui qui s'affranchit des règles ordinaires ? J'ai une théorie qu'on trouvera peut-être singulière, mais j'estime que la liberté de chacun doit être complète quant il n'entrave pas la liberté d'autrui. La loi anglaise va plus loin que la loi française ; non seulement elle frappe l'outrage public, mais elle punit le vice. C'est le péché, au fond, qu'on veut punir. Ce serait fort bien si on pouvait nous montrer une société de mœurs absolument pures. Mais on ne nous propose guère pour modèle qu'une hypocrisie parfois répugnante. Je trouve donc qu'il est injuste de faire payer à un seul malheureux toutes les mauvaises mœurs de ce temps.

Détraqué.

Nous avons transmis fidèlement les réponses qui nous ont été faites, et elles semblent prouver que la pétition en faveur d'Oscar Wilde n'aura pas un très grand succès parmi les littérateurs français.

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