OSCAR WILDE
LES LITTÉRATEURS DEMANDENT SA MISE EN LIBERTÉ
Notre enquête — La libération du prisonnier — Plusieurs cloches et plusieurs sons — La pétition sera-t-elle signée ? — Le « hard labour ».

On a annoncé que le directeur d'un journal littéraire, la Plume, allait prendre l'initiative d'une pétition en faveur d'Oscar Wilde, sur l'initiative d'un poète américain, M. Stuart Merrill.

On a annoncé que le directeur d'un journal littéraire, la Plume, allait prendre l'initiative d'une pétition en faveur d'Oscar Wilde, sur l'initiative d'un poète américain, M.Stuart Merrill.

Il s'agit d'obtenir la signature des hommes qui, en France et en Angleterre, se sont fait une célébrité dans la littérature de ce temps. Le journal qui, le premier, a annoncé cette nouvelle, a déclaré qu'on espérait ainsi obtenir une libération anticipée du prisonnier qui en ce moment expie cruellement dans le hart labour les extravagances de son imagination.

Nous avons pensé qu'il serait intéressant de faire à ce sujet une rapide enquête parmi les hommes de lettres français les plus illustres, dont les noms mêmes avaient été prononcés, à propos de cette pétition.

Le Matin a fait une enquête parmi les hommes de lettres français les plus illustres dont les noms avaient été prononcés à propos de la pétition.

M. A. Daudet hésite.

Nous n'avons pas eu la chance de rencontrer M. Emile Zola, momentanément absent, mais voici ce que nous a déclaré M. Alphonse Daudet :

« Avant tout, je désire savoir en quelle compagnie il me sera possible de manifester. Certes, il n'y a pas de douanes au pays des lettres, mais c'est justement pour cela qu'il est indispensable de connaître ses compagnons. Je ne puis, à ce sujet, donner de suite, avec la précision que vous demandez, une opinion certaine. J'ai connu Oscar Wilde, il est venu me voir durant ses voyages en France. C'était incontestablement un homme de talent. Mais sa vie a été répugnante, elle désarme même la pitié. Néanmoins, il y a une longue distance entre le châtiment et la torture. Contre la torture, il est permis à tous de protester. Mais qui peut dire que nos protestations serviront à quelque chose ? Les Anglais n'aiment pas beaucoup qu'on se mêle de leurs affaires. Je crains bien que cette protestation des hommes de lettres français n'aille contre le but même qu'on se propose et n'aggrave au contraire la situation du prisonnier. Oscar Wilde est un malheureux détraqué. J'ai horreur de ses actes, mais à quoi bon aggraver inutilement ses souffrances ? »

M. Sardou refuse.

Nous sommes allé ensuite trouver M. Victorien Sardou.

— C'est une boue trop immonde, nous a-t-il dit, pour que je m'en mêle, de quelque façon que ce soit. Il vient de la pitié pour ce malheureux. Mais les vices odieux dont nous voyons autour de nous le développement m'indignent. Je ne veux même pas m'occuper une seconde de tout cela. Cela ne nous regarde pas.

« C'est, une boue trop immonde pour que je m’en mêle, de quelque façon que ce soit. Il vient de la pitié pour ce malheureux. Mais les vices odieux, dont nous voyons autour de nous le développement, m’indignent. Je ne veux même pas, une seconde, m’occuper de tout cela. Cela ne nous regarde pas. »

M. Barrès se réserve.

C'est ensuite à M. Barrès que nous nous sommes adressé.

— J'ai, en effet, connu Oscar Wilde, nous dit-il. Dans un voyage à Londres, j'avais été mis en rapport avec lui par le peintre Burn Johnes et M. Harris, le directeur de la Revue du XIXe Siècle (Nine teath Centary Review). Quand Oscar Wilde vint à Paris, je le reçus avec politesse, et je l'invitai à déjeuner chez Voisin. J'avoue qu'il ne me plaisait pas. Il avait une tournure d'esprit particulière, qui d'ordinaire, chez les commis voyageurs dans la vie vulgaire, se traduit par la recherche des combles. Il avait beaucoup lu Baudelaire et Barbey d'Aurevilly. Je préfère, et de beaucoup, les esprits plus précis. Son procès a été affreux, j'en ai lu tous les détails. Devant la précision des accusations, le malheureux s'est écroulé. C'est un fou, il ne faut pas s'étonner outre mesure de la condamnation qui l'a frappé.

» Nous ne pouvons nous étonner de la condamnation qui l'a frappé. Mais, si nous admettons le châtiment, nous ne pouvons admettre la torture.

» Seulement, à quoi peut servir notre protestation ? Nous demandons déjà aux Anglais Arton et Cornélius Herz, que penseront-ils de nous si nous leur demandons encore Oscar Wilde ?

» Certes, le hart labour est une chose affreuse, mais c'est une affaire anglaise dans laquelle nous n'avons pas à nous mêler. Les Anglais, qui ne veulent pas que le travail des prisonniers fasse concurrence au travail libre, l'ont imaginé pour que les prisonniers ne restent pas inoccupés. Tous les grands écrivains anglais, Dickens notamment, ont protesté contre le hart labour. Cela n'a servi à rien. Serons-nous plus heureux ? c'est douteux. Si réellement la pétition dont on a parlé est soumise à l'approbation des hommes de lettres, je réserve mon adhésion. »

L'auteur d' « Amants » signera.

Nous avons pensé qu'il serait intéressant de clore cette enquête par l'appréciation d'un jeune écrivain. Nous sommes allé trouver celui-là même que le succès vient de consacrer, M. Maurice Donnay, l'heureux auteur d'Amants.

— Je ne sais si cette pétition servira à quelque chose, nous a-t-il dit, mais si on me la soumet, je la signerai avec joie, comme jadis j'ai signé la pétition demandant la mise en liberté de Gégout. Je trouvais tout à fait inique qu'on mît en prison les anarchistes. Oscar Wilde est un anarchiste d'un autre genre. Certes, j'ai une horreur profonde pour ce qu'a fait le poète anglais ; mais la soeiété actuelle, en Angleterre comme en France, est-elle donc assez pure pour pouvoir ainsi non seulement frapper, mais torturer celui qui s'affranchit des règles ordinaires ? J'ai une théorie qu'on trouvera peut-être singulière, mais j'estime que la liberté de chacun doit être complète quant il n'entrave pas la liberté d'autrui. La loi anglaise va plus loin que la loi française ; non seulement elle frappe l'outrage public, mais elle punit le vice. C'est le péché, au fond, qu'on veut punir. Ce serait fort bien si on pouvait nous montrer une société de mœurs absolument pures. Mais on ne nous propose guère pour modèle qu'une hypocrisie parfois répugnante. Je trouve donc qu'il est injuste de faire payer à un seul malheureux toutes les mauvaises mœurs de ce temps.

Détraqué.

Nous avons transmis fidèlement les réponses qui nous ont été faites, et elles semblent prouver que la pétition en faveur d'Oscar Wilde n'aura pas un très grand succès parmi les littérateurs français.

OSCAR WILDE
LITERATORS DEMAND HIS RELEASE
Our investigation—The release of the prisoner—Several bells and sounds—Will the petition be signed? — “Hard ploughing”.

It was announced that the director of a literary journal, La Plume, was going to take the initiative of a petition in favor of Oscar Wilde, on the initiative of an American poet, Mr. Stuart Merrill.

It is a question of obtaining the signature of the men who, in France and in England, made themselves a celebrity in the literature of that time. The newspaper which first announced this news declared that it was hoped in this way to obtain an early release of the prisoner, who at this moment is cruelly expiating in hard labor the extravagances of his imagination.

We thought it would be interesting to make a quick inquiry on this subject among the most illustrious French men of letters, whose very names had been mentioned, in connection with this petition.

MA Daudet hesitates.

We did not have the chance to meet Mr. Emile Zola, temporarily absent, but here is what Mr. Alphonse Daudet told us:

“Above all, I want to know in which company it will be possible for me to demonstrate. Admittedly, there are no customs in the land of letters, but that is precisely why it is essential to know your companions. I cannot, on this subject, give immediately, with the precision that you ask, a certain opinion. I knew Oscar Wilde, he came to see me during his travels in France. He was undoubtedly a talented man. But her life has been repugnant, she disarms even pity. Nevertheless, there is a long distance between punishment and torture. Against torture, everyone is allowed to protest. But who is to say that our protests will be of any use? The English don't much like people to meddle in their affairs. I am very much afraid that this protest by the French men of letters will go against the very goal that is proposed and will, on the contrary, aggravate the situation of the prisoner. Oscar Wilde is a wretched wretch. I hate his actions, but what's the point of aggravating his suffering unnecessarily? »

Mr. Sardou refuses.

We then went to find Mr. Victorien Sardou.

'It's too filthy a mud,' he told us, 'for me to get involved in any way. It comes from pity for this unfortunate. But the odious vices which we see growing around us make me indignant. I don't even want to deal with all this for a second. This does not concern us.

Mr. Barrès reserves himself.

It was then to Mr. Barrès that we spoke.

"I did indeed know Oscar Wilde," he told us. On a trip to London, I had been introduced to him by the painter Burn Johnes and Mr. Harris, the editor of the Nine Teath Centary Review. When Oscar Wilde came to Paris, I received him politely and invited him to lunch at Voisin's. I confess that I did not like it. He had a particular turn of mind, which usually, among traveling salesmen in ordinary life, translates into the search for the attic. He had read Baudelaire and Barbey d'Aurevilly a lot. I much prefer more precise minds. His trial was terrible, I read all the details. Faced with the precision of the accusations, the unfortunate man collapsed. He's a madman, we shouldn't be unduly surprised at the conviction that struck him.

We cannot be surprised at the condemnation that struck him. But, if we allow punishment, we cannot allow torture.

Only, of what use can our protest be? We are already asking the English Arton and Cornelius Herz, what will they think of us if we ask them for Oscar Wilde again?

“Hart plowing is a dreadful thing, to be sure, but it is an English affair in which we should not meddle. The English, who did not want the work of prisoners to compete with free labor, imagined it so that the prisoners would not remain idle. All the great English writers, Dickens in particular, protested against hart ploughing. It didn't help. Will we be happier? it is doubtful. If really the petition of which we have spoken is submitted to the approval of men of letters, I reserve my adhesion. »

The author of “Amants” will sign.

We thought it would be interesting to close this survey with the appreciation of a young writer. We went to find the very man whom success has just consecrated, M. Maurice Donnay, the happy author of Amants.

"I don't know if this petition will be of any use," he told us, "but if it's submitted to me, I'll sign it with joy, just as I signed the petition asking for Gégot's release." I found it quite iniquitous that the anarchists should be imprisoned. Oscar Wilde is an anarchist of another kind. Certainly, I have a deep horror for what the English poet has done; but is present-day society, in England as in France, sufficiently pure to be able thus not only to strike, but to torture those who free themselves from the ordinary rules? I have a theory that people may find odd, but I believe that everyone's freedom should be complete when they don't interfere with the freedom of others. English law goes further than French law; not only does it strike public outrage, but it punishes vice. It is the sin, basically, that we want to punish. It would be very good if we could be shown a society of absolutely pure morals. But we are offered as a model only a sometimes repugnant hypocrisy. I therefore find it unfair to make a single unfortunate person pay for all the bad morals of this time.

Whacked.

We have faithfully transmitted the replies which have been made to us, and they seem to prove that the petition in favor of Oscar Wilde will not have a very great success among French writers.

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