Le Figaro - Friday, August 2, 1895

Le HAVRE. - Une bien amusante polémique, qui ne manquera pas de faire la joie des collectionneurs de documents vécus, s'est engagée entre un journal du Havre et lord Douglas, l'ami d'Oscar Wilde, dont les lecteurs du Figaro n'ont pas oublié les récentes aventures.

Le journal havrais avait signalé la présence du jeune lord en accompagnant la nouvelle de réflexions plus ou moins mordantes, et avait dit notamment qu'il faisait des promenades en mer sur un yacht en compagnie de plusieurs amis. Piqué au vif, lord Douglas a exigé l'insertion d'une réponse dans laquelle il proteste d'abord contre les choses insultantes écrites contre lui, puis il ajoute :

Pour moi, qui ai déjà tant souffert, ça ne fait absolument rien du tout si un petit journal provincial m'accuse de tous les crimes qu'on peut imaginer; mais, pour mon petit mousse, ce pauvre innocent, et les autres braves gens, ces « amis », dont vous parlez si légèrement, ça doit être autre chose. Constatons, monsieur, que j'ai loué un petit yacht et que j'ai aussi engagé un mousse, et que j'ai fait dans ce yacht et avec ce mousse et un de ses camarades, et avec plusieurs des pêcheurs du Havre qui ont l'habitude de « promenader » les étrangers, plusieurs promenades en mer. Est-ce là une raison pour insulter et salir, je ne dis pas moi, mais ces autres braves gens, vos compatriotes ?

Pour moi, c'est déjà trop évident que tout le monde a le droit de m'insulter et de m'injurier parce que je suis l'ami d'Oscar Wilde. Voilà mon crime, non pas que j'étais son ami mais que je le suis toujours, et que je le serai jusqu'à la mort, et meme après si Dieu le veut ! Eh bien ! monsieur, ça n'entre pas dans mon système de moralité de lâcher un ami ni de le renier, même si cet ami est en prison ou dans l'enfer.

Le Temps - Saturday, August 3, 1895

UNE LETTRE DE LORD DOUGLAS. L'ami d'OScar Wilde a adressé au Journal du Havre la lettre suivante que nous reproduisons à titre de curiosité:

1er août. Boulevard François-Ier, 66. Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal les choses insultantes que vous avez écrit sur moi. Pour moi qui a déjà tant souffert, ça ne fait absolument rien du tout si un petit journal provincial m'accuse de tous les crimes qu'on peut s'imaginer, mais pour mon petit mousse, ce pauvre innocent, et les autres braves gens, ces « amis » dont vous parlez si légèrement, ça doit être autre chose. Constatons, monsieur, que j ai loué un petit yacht et que j'ai aussi engagé un mousse, et que j'ai fait dans ce yacht et avec ce mousse et un de ses camarades, et avec plusieurs des pficheurs du Havre qui ont l'habitude de promenader les étrangers, plusieurs promenades en mer; est-ce là une raison pour insulter et salir, je ne dis pas moi, mais ces autres braves gens vos compatriotes?

Pour moi, c'est déjà trop évident que tous le monde a le droit de m'insulter et de m'injurier, parce que je suis l'ami d'Oscar Wilde. Voila mon crime, non pas que j'étais son ami mais que je le suis toujours, et que je le serai jusqu'à la mort (et même après si Dieu veut).

Et bien, monsieur, ça n'entre pas dans mon système de moralité de lâcher un ami ni de le renier, même si cet ami est en prison ou dans l'enfer.

Peut-être que j'ai tort, mais en tout cas, je préfère consulter ma conscience que celle du Petit Havrais. Agréez, monsieur, mes compliments et mes excuses pour les fautes que j'ai sans doute fait dans une langue étrangère.

ALFRED DOUGLAS.

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