Le Quotidien illustré - Thursday, April 11, 1895

Londres.-- Oscar Wilde semble avoir perdu son assurance. Après avoir opposé une attitude hautaine et dégagée aux accusations dirigées contre lui, il cède à l'exaspération la plus étrange, la plus enfantine à propos du régime auquel il est soumis.

Oscar Wilde se plaint surtout d'être privé de cigarettes et de boissons spiritueuses, réduit à une demi-bouteille de vin ordinaire par jour et privé de la société de ses amis. Il ne pourra en effet recevoir qu'une seule visite et seulement au jour fixé par le règlement. Invité à désigner celui de ses amis qu'il préférait rencontrer, il a nommé le jeune lord Alfred Douglas. Mais ce nom a été effacé et remplacé par celui d'un autre ami de l'écrivain, M. Rosse, dont la personnalité n'a pas été mêlée au procès.

Oscar Wilde a obtenu l'usage de meubles et de coussins que lui ont envoyés ses amis. Il a reçu également du linge, des livres, de la parfumerie, des opiacés, et il peut lire les journaux.

Les nouvelles les plus attristantes circulent au sujet de l'audience qui sera tenue jeudi. On assure que les premières investigations auraient aggravé considérablement la situation de l'inculpé. La preuve aurait été acquise que, parmi les actes d'immoralité qui lui sont imputés, plusieurs auraient été accomplis sans le consentement et même malgré la résistance de ceux qui les subissaient. Si le jury venait à accepter comme évidentes de pareilles accusations, la peine de la servitude pénale à perpétuité pourrait seule être prononcée contre l'accusé.

La Patrie - Friday, April 12, 1895

(Service spécial de la Patrie)

Nous n’en avons pas fini avec les scandales anglais. Notre correspondant de Londres nous envoie les nouveaux renseignements qui suivent :

Londres, 11 avril. — Vous savez qu’en ce moment, la cour des divorces examine la demande en restitution de droits conjugaux formulée par la comtesse Russell.

Ayant obtenu le divorce en accusant son mari du même crime que celui aujourd’hui imputé à M. Wilde, elle base sa demande actuelle sur une rétractation formelle.

Dans l’audience d’hier, lady Russell a comparu dans le box des témoins. Elle a dit qu’elle avait vingt et un ans lorsqu’elle se maria. Elle déclare ne plus croire qu’il y ait un mot de vrai dans l’accusation formulée contre son mari et M. Roberts.

C’est lady douairière Russell elle-même qui lui aurait dit qu’elle croyait de son devoir de lui raconter la vérité au sujet de son petit-fils. En conséquence la grand' mère affirma que lord Russell avait été renvoyé de l’université d’Oxford pour « conduite immorale », disgraceful conduit.

La fiancée ayant demandé à lady Russell ce qu’elle entendait par là :

— Oh! répondit la bonne âme, c’est trop épouvantable à raconter.

Et elle ajouta qu'elle regrettait profondément de devoir permettre à la jeune fille d’épouser le comte Russell.

Lorsqu’elle apprit que, malgré son conseil, le mariage se ferait tout de même, la douairière se réconcilia avec cette idée et considéra ce mariage comme un miracle que le ciel faisait pour sauver son petit-fils.

Nous n'insisterons pas !

Oscar Wilde en prison

Depuis qu’il a quitté la geôle de Bow street pour la prison modèle d’Holloway, Oscar Wilde semble avoir perdu quelque peu de son assurance. Après avoir opposé une attitude tantôt hautaine, tantôt dégagée, aux abominables accusations dirigées contre lui, il cède à l’exaspération la plus étrange, la plus enfantine, à propos du régime auquel il est soumis, et des rigueurs, d’ailleurs, fort modérées du règlement qui régit la prison. C’est dans les termes les plus véhéments qu’il a, hier matin, exprimé son mécontentement à son avoué, M. Humphreys.

L’auteur d’Un mari idéal se plaint surtout d’être privé de cigarettes et de boissons spiritueuses, réduit à une demi-bouteille de vin ordinaire par jour et privé de la société de ses amis. Il ne pourra en effet recevoir qu'une seule visite et seulement au jour fixé par le règlement. Invité à désigner celui de ses amis qu'il préférait rencontrer, il a nommé le jeune lord Alfred Douglas, qui s’était d’ailleurs présenté à plusieurs reprises depuis vendredi soir sans être admis. Sur les représentations de M. D. Humphreys, le nom de lord Alfred Douglas a été effacé et remplacé par celui d’un autre ami de l’écrivain, M. Rosse, qui déjeunait avec lui le jour de son arrestation et dont la personnalité n’a pas été mêlée au procès.

La prison d'Holloway est de construction récente et rien n'y a été négligé pour assurer l'hygiène des détenus. Cependant Oscar Wilde a demandé et obtenu l’usage de meubles et de coussins qui lui ont été envoyés immédiatement par ses amis. Il a reçu également du linge, des livres, de la parfumerie, des opiacés, et il peut lire les journaux. Hier, il a spécialement demandé les journaux venus du continent.

L’audience d’aujourd’hui

Les nouvelles les plus attristantes circulent au sujet de l'audience qui sera tenue aujourd’hui jeudi. Nous les enregistrons sous toutes réserves, la sévère discrétion des magistrats et des hommes de loi ne nous permettant pas de les contrôler. On assure, dans des milieux généralement bien informés, que les premières investigations auraient aggravé considérablement la situation de l'inculpé.

La preuve aurait été acquise que, parmi les actes d'immoralité qui lui sont imputés, plusieurs auraient été accomplis sans le consentement et même malgré la résistance de ceux qui les subissaient. Si le jury venait à accepter comme évidentes de pareilles accusations, la peine de la servitude pénale à perpétuité pourrait seule être prononcée contre l’accusé.

Sir Edward Clarke a réellement proposé, comme vous en étiez informé, de se charger sans honoraires de la défense de M. Wilde : celui-ci a accepté avec empressement.

L'émotion à Londres

Les directeurs du Haymarket Theatre, MM. Lewis Waller et H. Morell, ont publié l’avis suivant : « Nous tenons à déclarer que nous ne nous croyons pas autorisés à causer un grand préjudice à beaucoup de personnes en modifiant la marche de nos représentations ; c’est pourquoi nous nous en tiendrons à nos engagements et nous jouerons samedi 13 avril : The Ideal Husbaud, de Oscar Wilde, au Criterion. »

En revanche, le bibliothécaire du British Muséum a reçu l'ordre de faire disparaître de la salle de lecture tous les volumes portant le nom de l’auteur Wilde ; la plupart des bibliothèques du Royaume-Uni ont pris la même mesure.

L’enquête à Paris

Dès que l’arrestation d’Oscar Wilde fut décidée, la police anglaise dépêcha un de ses plus habiles détectives à Paris, pour se livrer à une minutieuse enquête sur les fréquentations de l'inculpé pendant ses séjours répétés dans la capitale.

Comme il arrive en pareil cas, la police française s'est mise à la disposition de l’agent de Scotland Yard, mais celui-ci a décliné ces offres de concours, en déclarant qu’il était ici seulement en mission officieuse et qu’il avait reçu de ses supérieurs l’ordre formel d’agir seul.

La vérité est que la police londonienne ne se soucie nullement de voir une administration française intervenir, sous quelque forme que ce soit, dans une affaire où l’indignité d'un de ses compatriotes est en jeu et peut, par contre-coup, jeter le discrédit sur les hautes classes britanniques.

Highlighted DifferencesNot significantly similar