Le Soleil - Monday, November 25, 1895

Il serait question, en ce moment, paraît-il, d’une pétition adressée à qui de droit, par des littérateurs français, dans le but d’obtenir une atténuation de la peine infligée, il y a quelques mois, par les tribunaux anglais, au littérateur Oscar Wilde, après des débats dont les scandales ne sont pas oubliés.

Cette démarche qui doit être internationale, puisque l'initiative en appartient à un poète américain, ne me paraît pas avoir de grandes chances de réussir ; d’abord parce que les Anglais ne sont pas les sentimentaux que nous sommes, ensuite parce que le cas n’est vraiment pas recommandable.

Parmi nos sommités littéraires interrogées, beaucoup hésitent, et cela se conçoit ; d’autres se dérobent par la tangente, et quelques-uns refusent catégoriquement leur concours. En quoi et comment Oscar Wilde mériterait-il tant de sollicitude ? Supposons que pareille aventure soit advenue à un littérateur français : pense-t-on que les confrères s’en iraient demander à M Félix Faure ou sa grâce, ou une atténuation de peine?

Je sais que la prison anglaise n’est pas comparable à la nôtre, et que, de l’autre côté du détroit, on chercherait vainement un Pavillon des Princes, à l’usage des artistes et des littérateurs. La prison, chez nos voisins, c’est la prison avec toutes ses conséquences ; et le malheureux auteur la subit dans les conditions communes.

Je vois bien que la justice pénale anglaise n’a pas les tendresses que nous lui supposons ; et il se pourrait faire, au contraire, qu’à ses yeux, l’intelligence et le talent fussent des circonstances aggravantes, en ces sortes de causes. Aussi, serait-il peut-être téméraire, sinon puéril, de tenter une démarche vouée, j’en ai peur, à l’avortement.

Où irait-on, si l’on se mettait à établir des distinctions entre les délits et les crimes, suivant la qualité intellectuelle des délinquants et des criminels ? Dans la réalité des faits, n’est-ce pas le plus dénué d’intelligence qui devrait être le plus digne de compassion?

Il est pénible de voir un garçon doué comme l’était celui-ci soumis au rude régime des prisons anglaises ; mais ce serait se bercer d’un [...] d’attendre une modification exceptionnelle à la loi stricte, dans un pays qui la respecte jusqu’au fanatisme.

Jean de Nivelle.

La République Française - Tuesday, November 26, 1895

On sait, ou on ne sait pas, qu’un certain nombre d’écrivains français — à la remorque d’un Américain — ont eu l’idée — assez singulière — d’adresser aux autorités anglaises une pétition en faveur de l’esthète Oscar Wilde, condamné à deux ans de hard labour pour des actes qu'il n’est pas besoin de rappeler. Mais il ne paraît pas que le projet rencontre beaucoup d’adhésions : Sardou, notamment, a refusé net sa signature, et Alphonse Daudet a fait la grimace.

Voici ce qu’en dit aujourd’hui Jean de Nivelle, dans le Soleil:

Parmi nos sommités littéraires interrogées, beaucoup hésitent, et cela se conçoit; d’autres se dérobent par la tangente, et quelques-uns refusent catégoriquement leur concours. En quoi et coin meut Oscar Wilde mériterait-il tant de sollicitude ? Supposons que pareille aventure soit advenue à un littérateur français : pense-t-on que les confrères s’en iraient demander à M. Félix Faure ou sa grâce, ou une atténuation de peine ?

Je vois bien que la justice pénale anglaise n’a pas les tendresses que nous lui supposons; et il se pourrait faire, au contraire, qu'a ses yeux, l'intelligence et le talent fussent des circonstances aggravantes en ces sortes de causes. Aussi, serait-il peut-être téméraire, sinon puéril, de tenter une démarche vouée, j’en ai peur, à l’avortement.

Où irait-on, si l'on se mettait à établir des distinctions entre les délits et les crimes, suivant la qualité intellectuelle des délinquants et des criminels? Dans la réalité des faits, n’est-ce pas le plue dénué d'intelligence qui devrait être le plus digne de compassion ?

Il est pénible de voir un garçon doué comme l'était celui-ci soumis au rude régime des prisons anglaises; mais ce serait se bercer d'un vain espoir d'attendre une modification exceptionelle à la loi stricte, dans un pays qui la respecte jusqu'au fanatisme.

Le seul résultat de l'affaire sera, inevitablement, de provoquer, dans la presse anglaise, de nouvelles injures à l'égard des Français — dont les effroyables moeurs, on ne l'ignore point, scandalisent justement les compatriotes de Wilde et des chastes héros de la Pall Mall Gazette.

L. Gondrecourt.

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