Paris - Sunday, April 7, 1895

Malgré qu’il ait affecté des allures de désintéressement en retirant sa plainte en diffamation contre le marquis de Queensbury, le romancier Oscar Wilde n’a pu émouvoir la justice de son pays. Et, dès hier soir, l’accusateur du matin devenait accusé. Parti du Palais en voiture de maître, il y va revenir dans le véhicule britannique correspondant à notre panier à salade, ce fameux panier à salade que l’Europe criminelle nous envie.

Sans doute on a bien fait de renverser les rôles, en cette répugnante affaire où éclate si remarquablement la respectability de la pudique Albion, et M. Oscar Wilde fera meilleure figure au banc des accusés qu’à la barre des accusateurs. Mais tout de même les mœurs de la famille Queensbury m’inquiètent quelque peu. Comment voici le plus jeune fils du marquis, lord Alfred Douglas qui propose une caution pour qu’on rende la liberté à l’homme poursuivi par son père, pour que ce cher ami, en attendant le jugement puisse vaquer librement à ses travaux et, qui sait ? à ses plaisirs.

Les choses auraient-elles donc été aussi loin avec le jeune lord qu’avec le maître chanteur Wood, le commis de librairie Shelley, le vagabond Alfonso Conwel ; et Alfred Douglas conserverait-il, dans le tiroir aux souvenirs, le symbolique porte-cigarettes en argent, présent habituel du dissolu romancier?

Et le fils aîné, le premier représentant du nom de Queensbury après le marquis aux moeurs pures, celui-là aussi, aurait-il failli, ou, du moins, aurait-il été tenté ?

C’est à propos des relations de ce fils aîné, en effet, avec le premier ministre anglais que le marquis écrivait la lettre troublante que l’audience a rendue publique et où se rencontrent ces mots :

» Oscar Wilde a montré qu'il était un lâche et le dernier des misérables du type de lord Rosebcry »

Voilà qui est singulièrement grave et qui prouverait une étrange vocation chez les fils du noble lord.

Ce point philosophique serait curieux à fixer pour une histoire des mœurs britanniques, qui formerait sans doute un recueil que seul l’éditeur Kistmaeckers pourrait faire imprimer.

M. Oscar Wilde est arrêté, mais pourquoi ne cherche-t-on pas à savoir ce qu'il y a de fondé dans les accusations portées par lord Queensbury contre lord Rosebery.

De deux choses l’une, ou le marquis n’a point dit la vérité et il doit être poursuivi, décidément, comme diffamateur, ou bien il dit vrai et la place du premier ministre de Sa Gracieuse Majesté est marquée à côté de celle du romancier Oscar Wilde sur le bant du tribunal.

C’est un dilemme.

H. DE W.

Le Gaulois - Friday, April 5, 1895

Londres est dans un émoi indicible par suite du procès en diffamation intenté par l'écrivain bien connu M. Oscar Wild au marquis de Queensbury.

On se rappelle que le marquis avait cherché par tous les moyens à mettre fin à l'amitié qui unissait son fils, lord Alfred Douglas, à M. Oscar Wild, et que, n'y pouvant parvenir, il provoqua au pugilat l'écrivain et, finalement, lui laissa à son cercle une carte non fermée contenant une imputation infâme, que M. Oscar Wild considère comme une calomnie et pour laquelle il demande en cour d'assises des dommages-intérêts.

La salle d'audience était comble le plaignant et son accusateur étaient présents, et tous les journaux anglais rendent compte du procès avec un luxe de détails que nous ne saurions reproduire. Nous avons dit ce qu'étaient les Esthètes à Londres, société de bizarres admirateurs du beau, depuis la fleur jusqu'à l'idéal le plus raffiné. Entre ces deux extrêmes se sont créées des amitiés esthétiques que M. Oscar Wilde affirme être restées dans le pur domaine de l'esthétisme, quoique manifestées par des lettres et des vers qui rappellent certains vers de Virgile.

Interrogé et poussé à bout par l'avocat du marquis de Queensbury, M. Oscar Wild a fini par déclarer qu'à son sens il n'y avait ni livres moraux, ni livres immoraux, mais seulement des livres bien faits et des livres mal faits. A partir de ce moment, l'opinion s'est montrée hostile à l'écrivain, et le scandale a pris des proportions énormes.

Ce fut bien autre chose à l'audience d'hier, où un avocat a donné lecture d'une lettre du marquis de Queensbury à la mère de sa première femme, lui expliquant les causes de son animosité contre M. Oscar Wild. Il écrivait

« Il (Oscar Wilde) a montré qu'il était un lâche et le dernier de ces misérable du type de lord Rosebery.

La lecture d'une autre lettre du marquis mentionnait également le nom du premier ministre.

On conçoit combien ce nouveau scandale augmente le premier. C'est une nouvelle phase du procès, et dès lors il est impossible de dire comment il tournera.

MAITRE Z...

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