Paris - Tuesday, April 9, 1895

Les journaux se font l’écho des rumeurs les plus sensationnelles, sur ce procès et il est inutile de dissimuler qu’on se demande un peu partout sur quelle illustration la foudre va tomber : il y a assurément de l’orage dans l’air. Une nouvelle bien extraordinaire est celle d’après la quelle sir Edward Clarke, qui représentait M. Wilde dans le procès intenté à lord Queensberry, offrirait de le défendre cette fois encore, et gratuitement : sir Edward Clarke était le soliciter général de la dernière administration conservatrice; il est aussi un des chefs du parti clérical anglican à la Chambre des communes. Par une coïncidence particulièrement regrettable pour le célèbre avocat, la cour des divorces examine ces jours-ci la demande en restitution de droits conjugaux formulée par la comtesse Russell ; or cette jeune dame, dans le procès en divorce qu'elle avait intenté jadis à son mari (petit-fils du grand ministre lord John Russell) l’avait accusé du même crime aujourd’hui imputé à M. Wilde, et elle hase sa demande actuelle sur une rétractation formelle de cette accusation, qu'elle prétend n’avoir formulée que sur les conseils de sir Edward Clarke, son défenseur!

La Westminster Gazette fait au sujet du procès Wilde-Queensberry une série d’observations intéressantes. Le juge Henn Collins, qui présidait les débats à Old Bailey, M. Oscar Wilde, l’accusateur, M.Carson défenseur du marquis, et M. Gill, son principal avoué, sont tous des Irlandais gradés de l’Université de Dublin. Mais voici qui est plus fort : M. Wilde et son terrible cross-examinator, M. Carson, lequel a plus que personne contribué à sa ruine, sont des camarades d’études: ils ont fait partie du même collège universitaire à Dublin (Trinity collège) et de la même classe : ils ont pris en semble leur degré. M. Wilde était au nombre des élèves les plus distingués et à Oxford, où il étudia plus tard, il passa très brillamment ses examens classiques.

Le Temps - Monday, April 8, 1895

Londres, 6 avril.

Il ne s'agit plus, vous le savez, du procès en diffamation intenté au marquis de Queensberry par M. Oscar Wilde, mais des poursuites ordonnées contre cet écrivain par la trésorerie britannique. Après son incarcération, qui eut lieu hier soir vendredi dans une cellule de Bow street, et dont vous connaissez les détails, M. Oscar Wilde passa une nuit fort agitée, se plaignant de ce qu'il ne lui fût pas permis de fumer et n'acceptant, pour toute subsistance, qu'un peu de poulet froid et une tasse de café. Aussi paraissait-il hagard et défait lorsqu'il comparut, ce matin, sur le coup d'onze heures, devant sir John Bridge, magistrat présidant le tribunal de police de Bow street: bientôt pourtant, il reprenait cette attitude de détachement et d'indifférence dilettante qui lui réussit si mal en cour d'Old Bailey.

M. F.-C. Gill, qui poursuit au nom de la trésorerie, et M. Humphrey, avoué chargé provisoirement de la défense, venaient à peine de gagner leurs places, lorsqu'on vit entrer, entre deux détectives, l'individu que recherchait la police et qui passe pour le pourvoyeur de M. Wilde. Il vient d'être arrêté près de sa maison de Pimlico. C'est un nommé Alfred Taylor: il est fort bien mis et paraît intelligent; son attitude pendant les débats est la même que celle de M. Wilde, avec une nuance de cynisme en plus, car il sourit aux détails particulièrement répugnants racontés par les témoins.

Ceux-ci réitèrent le récit des faits honteux déjà confessés aux avoués du marquis de Queensberry. Je ne peux pas y insister. Le jeune Parker, un valet sans emploi, fut présenté, avec son frère le groom, à M. Wilde par Taylor ils dînèrent ensemble en cabinet particulier et, après force libations au Champagne, Parker accompagna l'écrivain à l'hôtel Savoy. Ils devaient y avoir tous deux plusieurs tête-à-tête qui rapportaient au jeune valet de 50 à 75 francs en moyenne. Wood raconte à peu près la même histoire, seulement, plus avisé que Parker, il rompit bientôt ses relations avec de «pareilles gens». Puis c'est le tour du masseur de l'hôtel Savoy, dont les accusations contre M. Wilde sont confirmées par une femme de chambre. Voici enfin Mme Grant, propriétaire de la maison jadis habitée, à Little-College street, par Taylor, qui dépose que ce personnage recevait fréquemment des jeunes gens dans ses chambres fastueusement meublées, éclairées d'une lumière spéciale et où brûlaient des parfums.

Aux afternoon tea qu'il y donnait, Taylor paraissait en un élégant déshabillé, « tel qu'une petite maîtresse » ...

A la fin d'une des dépositions, le ministère public fait cette remarque: « Nous sommes ici pour nous occuper de l'affaire Wilde. Mais je crois savoir que d'autres personnes assistaient aux réunions dont on vient de parler. » C'est ce que confirme le témoin, qui signale le départ de deux d'entre elles pour le continent. Et, à ce propos, je peux ajouter qu'il est sérieusement question de l'arrestation imminente d'un haut personnage compromis dans la même affaire de mœurs.

Après que M. Humphrey eut, au nom de M. Wilde, réservé son droit de procéder à un contre-interrogatoire des témoins, sir John Bridge annonça l'ajournement des débats à jeudi prochain. La demande de mise en liberté sous caution, formulée en faveur du prisonnier, fut rejetée.

Les journaux de cet après-midi se font l'écho des rumeurs les plus sensationnelles et il est inutile de dissimuler qu'on se demande un peu partout sur quelle illustration la foudre va tomber il y a assurément de l'orage dans l'air. Une nouvelle bien extraordinaire est celle d'après laquelle sir Edward Clarke, qui représentait M. Wilde dans le procès intenté à lord Queensberry, offrirait de le défendre cette fois encore, et gratuitement: sir Edward Clarke était le solicitor général de la dernière administration conservatrice il est aussi un des chefs du parti clérical anglican à la Chambre des communes. Par une coïncidence particulièrement regrettable pour le célèbre avocat, la cour des divorces examine ces jours la demande en restitution de droits conjugaux formulée par la comtesse Russell; or cette jeune dame, dans le procès en divorce qu'elle avait intenté jadis a son mari (petit-fils du grand ministre lord John Russell) l'avait accusé du même crime aujourd'hui imputé à M. Wilde, et elle base sa demande actuelle sur une rétractation formelle de cette accusation, qu'elle prétend n'avoir formulée que sur les conseils de sir Edward Clarke, son défenseur!

La Westminster Gazette fait au sujet du procès Wilde-Queensberry une série d'observations intéressantes. Le juge Henn Collins, qui présidait les débats à Old Bailey, M. Oscar Wilde, l'accusateur, M. Carson, défenseur du marquis, et M. Gill, son principal avoué, sont tous des Irlandais gradés de l'université de Dublin. Mais voici qui est plus fort: M. Wilde et son terrible cross-examinator, M. Carson, lequel a plus que personne contribué à sa ruine, sont des camarades d'études; ils ont fait partie du même collège universitaire à Dublin (Trinity college) et de la même classe ils ont pris ensemble leur degré. M. Wilde était au nombre des élèves les plus distingués et à Oxford, où il étudia plus tard, il passa très brillamment ses examens classiques.

On télégraphie de New-York que le théâtre du Lyceum a suivi l'exemple des directeurs anglais du Haymarket et du Saint-James's, en supprimant le nom de M. Wilde sur l'affiche de sa pièce, Un mari idéal, actuellement en cours de représentation. Miss Rose Conlan, qui fait une tournée dans les Etats-Unis de l'Ouest, a décidé de ne plus jouer Une femme d'importance nulle, ouvrage du même auteur qui figurait dans son répertoire.

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