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Le Matin - Sunday, November 24, 1895
Difference
M. Léon Deschamps, directeur de la Plume, a pris l’initiative, en France, d’une pétition que le poète Stuart Merrill a déjà fait couvrir de signatures aux Etats-Unis, et dont le but serait de réclamer la mise en liberté immédiate d'Oscar Wilde. Cette pétition est proposée tout particulièrement aux signatures littéraires le plus en vue de France et d'Amérique et ses auteurs en espèrent heureux résultat, en raison même de l’autorité connue, de l’honorabilité certaine de ceux-là qu'ils désireraient voir solliciter en leur compagnie.
Ce pauvre diable d'Oscar Wilde est, en effet, du moins on le rapporte ainsi, dans un état lamentable. La condamnation même avait déjà provoqué en lui une contrastante dépression morale, mais voici qu’aujourd’hui les troubles physiques manifestent évidemment et terriblement de leur existence. Le malheureux se trouve dans un état de fièvre constante, qui le brûle et le tue, il ne mange plus et son état n’est pas loin, s’il demeure soumis au terrible régime où on le condamna, d’être désespéré.
Or on affirme qu'il ne saurait être mis en liberté, a défaut de l’intervention de la mort, que si sa situation du santé était toute proche de l’agonie. On lui permettrait, alors, d'aller râler ailleurs. Tel est le résumé de l'opinion des juges anglais à l'égard du triste personnage, objet aux pitiés plutôt qu'aux rigueurs, qu'ils condamnèrent si durement.
Bien qu’on ait affirmé qu'il n’était point soumis à l'obligation infernale de tourner la fameuse roue sur laquelle, aux premiers temps de son emprisonnement, le montrèrent les illustrés, il n'en demeure pas moins évident qu'il est tenu aux travaux les plus durs, travaux où sa complexions rencontre de sérieux dommages.
Veut-on attendre pour intercéder auprès des tout-puissants de la justice anglaise que le misérable monomane soit près de passer de vie à trépas ?
L’intercession, dès lors, n’aurait plus guère de raison d'être et mieux vaudrait conserver pour une cause plus active ce reliquat de pitié.
Il apparaît pourtant que ce soit ainsi qu’on entende agir, sinon en Amérique, au moins à Paris.
Et si les choses vont du train où elles se sont engagées, les protestants des Etats-Unis vont être appelés à donner un exemple de libéralisme aux larges esprits que se disent certains Français, lesquels doivent, si l'on en juge aux apparences, faire blanchir à Londres leur conscience en même temps que leur linge.
Des interviews ont été publiées au sujet de la pétition. On a demandé leur avis à M. Daudet, à M. Barrés, à M. Sardou, à M. Donnay.
M. Maurice Donnay, seul, a eu le courage de proclamer qu’il signerait si la pétition lui était présentée.
Après avoir déclaré qu'il engagerait son nom attendu qu’il tenait pour la liberté de l’individu, l’auteur de Phryné a déclaré :
« C’est le péché, au fond, qu’un veut punir. Ce serait fort bien si on pouvait nous montrer une société de mœurs absolument pures. Mais on ne nous propose guère pour modèle qu’une hypocrisie parfois répugnante. Je trouve donc qu’il est injuste de faire payer à un seul malheureux toutes les mauvaises mœurs du ce temps. »
Les mauvaises mœurs de ce temps. C'est beaucoup dire et M. Donnay serait plus près de la vérité s’il avait parlé des mauvaises mœurs anglaises et calvinistes.
Cela s’accorderait mieux, à tout le moins, avec le mot d’hypocrisie, de répugnante hypocrisie qu’il employa, puis qualifia.
Pour M. Daudet, il veut bien accorder à Oscar Wilde le bénéfice de sa pitié. Mais M. Daudet est un homme d’ordre, il ne fait pas l’aumône à l’aveuglante, il ne tire de sa poche un peu de bonté d'âme que dans le cas où les donateurs sont d'heureux a lui et de compagnie suffisante.
C’est très simplement, au reste, qu'il s’en explique, quand il dit, avec un doux cynisme :
« Avant tout, je désire savoir en quelle compagnie il me sera possible de manifester. Certes, il n’y a pas de douanes au pays des lettres, mais e’est justement pour cela qu’il est indispensable de connaître ses compagnons. »
M. Barrés, lui, ne tient pas, avant tout, à être généreux en une société de lettres digne de lui, mais il tient à savoir ce qui adviendra de son apitoiement. Aussi, comme il pense que l'intervention des littérateurs français ne servirait de rien ou à peu près, conclut-il :
« Si réellement la pétition dont on a parlé est soumise à l’approbation des hommes de lettres, je réserve mon adhésion. »
Avec M. Sardou, il ne fallait point songer à de la générosité ; s'il prend volontiers chez les autres, il ne donne jamais à personne. Aussi, avec force clichés, comme en ses œuvres, édicta-t-il :
« C'est, une boue trop immonde pour que je m’en mêle, de quelque façon que ce soit. Il vient de la pitié pour ce malheureux. Mais les vices odieux, dont nous voyons autour de nous le développement, m’indignent. Je ne veux même pas, une seconde, m’occuper de tout cela. Cela ne nous regarde pas. »
— C'est une boue trop immonde, nous a-t-il dit, pour que je m'en mêle, de quelque façon que ce soit. Il vient de la pitié pour ce malheureux. Mais les vices odieux dont nous voyons autour de nous le développement m'indignent. Je ne veux même pas m'occuper une seconde de tout cela. Cela ne nous regarde pas.
Si, au temps où sera présentée la pétition, cette moyenne de refus se maintient, il y a apparence pour que ce document ne recueille point un bien grand nombre de signatures autorisées.
Les principaux motifs de refus ont été invoqués par les trois messieurs précités et les solliciteurs rencontreront partout l’honnête indignation des Sardous, le souci de bon ton des Daudets, et la crainte d'accomplir un inutile effort, où se trouveront les Barrès.
Sans doute, ce dernier motif plus vague et moins franc que les deux autres détiendra le record parmi les refus. On en pourrait presque gager.
L’excuse est facile. « A quoi bon ? Nous ne réussirions pas. » Et à la faveur de cette défilade évite-t-on de se compromettre.
Oh ! certainement, quand M. Sardou parle de boue, bien que l’épithète soit aussi fanée que sa littérature, il n’a point tort et je ne m’offrirai point la paradoxale et médiocre fantaisie de défendre les vicieux instincts du personnage dont MM. Stuart Merrill et Léon Deschamps ont renouvelé l’actualité.
Il est seulement monstrueux que la justice du pays le plus abject et le plus bassement dissolu qui soit au monde, la justice du pays où fleurissent les petites bouquetières précocement hospitalières à toutes les caresses, la justice du pays où se développe, dans toutes les classes, la plus répugnante ivrognerie, il est monstrueux que cette justice, dès qu'un scandale éclate, fasse payer à un pauvre diable la dette contractée par toute une nation à l’égard de la morale.
Et puis, quoi ? Oscar Wilde a-t-il manqué publiquement aux règles de la pudeur? Non. Alors quel est son crime ? A-t-il abusé d’un innocent qui se défendit? Non. L’œuvre immonde s'accomplit par mutuel consentement. Où donc, logiquement, se démontre le délit ?
Et, vraiment, quand ce triste hère va mourir pour avoir trop chéri un vice, que certains de ceux qui lui refuseront dans la suite le secours de leur intervention, pratiquent peut-être, il est indigne de ne point tenter un effort pour l’arracher à cet horrible hard labour où il peine et qui le tue.
Mais, voilà, le respect humain est là, le respect humain qui est la première des vertus des disciples de Calvin.
Et c'est tristesse vraiment de rencontrer cette hypocrisie si répandue dans une nation, dont les livres de théorie religieuse témoignent du mépris où ils tiennent le respect humain, qu'ils considèrent ainsi que péché d’importance.