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Le Soir - Monday, June 3, 1895
Difference
En tous pays, l'homme est le plus souvent une fort méchante bête, se ruant sur les blessés, déchiquetant les vaincus tombés au champ de bataille de la vie. Mais les manifestations de la cruauté individuelle et collective sont encore moins formidables que la bêtise, les conventions tyraniques, les lâches hypocrisies, les préjugés féroces codifiés sous le nom de lois. En vain le législateur prétend-il fixer les principes d'ordre général et et de défense publique, il ne fait que servir les passions d'une époque et les intérêts d'une catégorie, il distribue les châtiments et les peines, en dehors de l'humanité, selon les contingences d'une morale menteuse et les besoins d'une société inique, toujours empressée à réduire la part de liberté de l'individu.
A quoi tiennent ces réflexions ? Au cas du malheureux Oscar Wilde, d'abord ridicule et répugnant, qui s'achève en ce moment par une barbarie abominable, déshonorante pour l'Angleterre, indigne de l'Europe du dix-neuvième siècle.
En raison d'habitudes socratiques, d'anomalies consommées avec des professionnels, at home, de manière que personne ne pouvait s'en trouver offensé ni troublé, — Oscar Wilde a été condamné à deux ans de travaux forcés. Le hard labour est une peine tellement cruelle qu'on ne frappe jamais de plus de deux ans les plus endurcis criminels. Elle est destinée à abattre les caractères les plus intraitables en diminuant les forces vitales par l'excès de la gehenne. C'est une torture de toutes les heures et de toutes les minutes. On vous a précédemment indiqué toutes les trouvailles de tourment : la roue de meule, dont le patient, suspendu par les poignets à des anneaux de fer, est contraint d'actionner les palettes avec ses pieds ; entre temps, le décorticage des vieux câbles qui déchire les mains. Un détail est à retenir parmi tous les autres. Si le condamné qui fut pesé à son entrée dans l'ergastule n'a pas perdu de son poids au bout d'une quinzaine, on redouble le supplice, on diminue sa ration d'aliments jusqu'à ce qu'il dépérisse.
Les hyènes de la loi gardienne des société n'ont, en aucun lieu du monde, inventé plus parfaite mortification de la carcasse humaine. Si un Anglais voyageur ose s'étonner après cela aux tueries raffinées exercées par les rois nègres de l'Afrique, c'est que ses principes d'humanité varient selon le lieu ou bien qu'il ignore les méthodes afflictives des prisons de John Bull.
Les hyènes de la loi gardienne des sociétés n’ont, en aucun lieu du monde, inventé plus parfaite mortification de la carcasse humaine. Si un Anglais voyageur ose s’étonner après cela des tueries raffinées par les rois nègres de l’Afrique, c’est que ses principes d’humanité varient selon le lieu ou bien qu’il ignore les méthodes affectives des prisons de John Bull.
A la fin d'une journée de supplice, Oscar Wilde a été reconnu si gravement malade qu'on a dû le transporter à l'infirmerie de la prison. Durant le travail de la meule, au cours de la gymnastique d'écureuil, il était tombé plusieurs fois d'angoisse et d'épuisement. Les plus robustes natures ne résistent pas deux ans au hard labour ; après la condamnation de Wilde, plusieurs Anglais m'ont affirmé qu'il serait mort au bout de l'an. Ainsi, dans la patrie de Darwin, d'Herbert Spencer, un homme est condamné à mort pour la façon dont il assouvit dans l'alcôve ses appétits unisexuels ; on ne saurait imaginer plus flagrant contraste entre les penseurs d'une nation et ses législateurs.
A la fin d’une journée de supplice, Oscar Wilde a été reconnu si gravement malade qu’on a dû le transporter à l’infirmerie de la prison. Durant le travail de la meule, au cours de la gymnastique d’écureuil, il était tombé plusieurs fois d’angoisse et d’épuisement. Les plus robustes natures ne résistent pas deux ans au hard labour ; après la condamnation de Wilde, plusieurs Anglais m’ont affirmé qu’il serait mort au bout de l’an. Ainsi, dans la patrie de Darwin, d’Herbert Spencer, un homme est condamné à mort pour la façon dont il assouvit dans l’alcôve ses appétits unisexuels, on ne saurait imaginer plus flagrant contraste entre les penseurs d’une nation et ses législateurs.
Les détenteurs de la loi, ces juges stupides et féroces, ont suivi en Angleterre, comme ils font ailleurs, les injonctions de la foule passionnée. Les centaines de milliers d'imbéciles et de pharisiens qui composent une opinion ont bouillonné d'indignation contre l'esthète du moment que sa fâcheuse manie a été dénoncée officiellement. On n'en ignorait pas auparavant et l'auteur du Portrait de Dorian Gray ne l'avait oncques dissimulée. Pourtant il était accueilli dans les meilleurs salons du monde londonien ; on lui faisait fête à cause de sa réputation ; on souriait à son esprit de mots brillants, de traits d'humour. On parlait de ses bizarres accointances comme d'une curieuse singularité. Mais, dès que la publicité scandaleuse retentit autour du conclave d'antiphysiques, la société se souleva unanimement pour repousser, accuser et flétrir le poète de lord Douglas et l'ami de Taylor. Tous ceux qui craignaient qu'on n'incriminât leur complaisance au coupable, leur politesse et leur accueil, clamèrent qu'il fallait un exemple pour châtier un vice croissant ; les directeurs biffèrent de l'affiche le nom de Wilde, tout en continuant les représentations de ses pièces d'où ils tiraient de fructueuses recettes.
Et les juges condamnèrent... Ils ne pouvaient appeler du ciel la nuée de feu qui mit en cendres et Sodome et Gomorrhe, mais le livre d'airain des lois moyenâgeuses ses suppléa à l'inefficacité de la Bible.
Mais en attendant que l'humanité récupère ses droits contre la barbarie des hommes, la raison se montre déjà victorieuse de leur imbécillité. Frapper un homme de peine cruelle et infamante pour un acte qui ne nuit à personne, c'est comme si le tribunal condamnait la saleté corporelle, le désordre, les perversions du goût dans le choix des aliments. Schopenhauer n'a-t-il pas désigné l'aberration des antiphysiques comme un témoignage du piège éternel que l'instinct sexuel tend à tous les êtres humains pour perpétuer le mal de la vie ? Suppose-t-on que les arrêts de justice et les châtiments supprimeront une appétence contre nature qui résulte d'une misère, d'une infirmité de la nature humaine ? Il faut plaindre les malades, les détraqués irresponsables. Nos voisins ont à prendre la leçon de Paris où le ridicule a suffi pour l'exemple célèbre de M. de Germiny. Ces justiciers d'outre-Manche espèrent-ils donc que la peur en ôtera l'envie ? Au contraire, les débauchés sentiront un piment, un nouveau frisson dans leurs exercices par le risque du châtiment.
Donc un artiste intéressant, aujourd'hui un malheureux digne de pitié, aura été condamné au supplice, à la mort, et la morale n'aura rien gagné a cette répression barbare. Le vice ne sera pas enrayé, au contraire, et l'Angleterre gardera devant l'Europe son renom d'hypocrisie, de pudibonderie menteuse, aggravée de barbarie. Le seul qui conserve dans cette triste affaire un air de triomphe est le marquis de Queensberry, type de brute sportive malfaisante, mauvais mari, méchant père, sans crédit ni considération, ayant sali à plaisir sa femme et ses enfants, enfin un patricien accompli.
Sa victoire est la moralité de cette justice anglaise et de bien des justices humaines.