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Le Gaulois - Thursday, June 13, 1895
Le Gaulois - Thursday, June 13, 1895
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L’Éclair - Friday, June 14, 1895
L’Éclair - Friday, June 14, 1895
Difference
Londres, 11 juin.
Un bruit d'une importance toute particulière court ici avec persistante depuis quelques jours. Sir Edward Clarke, le défenseur d'Oscar
Wilde, aurait l'intention de faire appel du jugement qui a condamné l'esthète à deux ans de hard labour, devant la Chambre des lords, tribunal suprême en
la circonstance. Le jugement serait attaqué par suite d'un vice de forme qui se serait produit au cours du procès. Sir Edward Clarke fut, comme on sait,
solicitor general dans le dernier cabinet de lord Salisbury et occupe une place éminente parmi les jurisconsultes anglais.
Nous étant trouvé, hier, dans la compagnie d'un membre distingué du barreau de Londres, qui a suivi le procès d'Oscar Wilde de la façon
la plus active, nous lui avons demandé son opinion sur le projet d'appel à la Chambre des lords.
— Je sais qu'on en parle beaucoup en ce moment, nous a-t-il répondu. Mais je ne pense pas que sir Edward Clarke donne suite à son idée si
tant est qu'il ait formé ce projet. L'appel devant la Chambre des lords réveillerait le scandale sans grand profit pour le prisonnier de Pentonville.
» Mon opinion est que Oscar Wilde fera toute sa peine. Il a subi la condamnation la plus sévère qui pût lui être infligée. Vous n'avez
point idée de l'extrême sévérité de cette peine. Le hard labour, dont la traduction littérale en français est travail dur, comprend un régime implacable
dans son absorbante régularité et ses exigences.
» Oscar Wilde, dont les cheveux, les longs cheveux d'esthète, ont été coupés ras, est vêtu d'un costume de toile à voile marqué d'une
flèche, ce qu'on appelle un broad arrow, signe distinctif des convicts. Sa cellule, très étroite, a pour tout meuble un lit ou pour mieux dire une planche
reposant sur quatre pieds et sur laquelle on a placé une couverture. Il n'y a pas de matelas et l'oreiller est en bois. A quelques pas de là, un
escabeau.
» Oscar Wilde est soumis à trois sortes de travaux. D'abord dans sa chambre il doit procéder, pendant un certain nombre d'heures, assis
sur son escabeau, à la réduction en tout petits morceaux, d'énormes cordes goudronnée, de ces cordes dont on se sert pour amarrer les navires. Il fait ce
travail à l'aide d'un clou — et de ses ongles. Travail pénible, atroce, fait pour déchirer, abîmer irrémédiablement les mains.
Oscar Wilde est soumis à trois sortes de travaux. D’abord dans sa chambre il doit procéder, pendant un certain nombre d'heures, assis sur
son escableau, à la réduction en tout petits morceaux, d’énormes cordes goudronnées, de ces cordes dont on se sert pour amarrer les navires.
» Puis, on le conduit dans une cour où il déplace un certain nombre de boulets de canon, les transportant un à un d'un endroit à un autre
et les plaçant en des tas symétriques. Le travail n'est pas plutôt achevé qu'il est détruit par Wilde lui-même et le prisonnier est obligé de reporter les
boulets à l'endroit primitif, un à un.
» Enfin, il est soumis à la peine du tread mill, la plus dure de toutes. Figurez-vous une immense roue à l'intérieur de laquelle se
trouvent des marches circulaires. Oscar Wilde, placé sur une des marches, fait mouvoir aussitôt la roue à l'aide de ses pieds. Les marches se succèdent
ainsi sous ses pieds dans une évolution rapide et régulière. Ses jambes sont soumises par là à un mouvement précipité qui devient une fatigue énervante,
affolante au bout de quelques minutes. Mais il doit maîtriser cette fatigue, cet énervement, cette souffrance, et continuer à jouer des jambes, sous peine
d'être renversé, par l'action même de la roue, enlevé et projeté. Cet exercice fantastique dure un quart-d'heure. On donne à Wilde cinq minutes de repos,
puis l'exercice recommence.
» Il est toujours seul et ne peut parler à son geôlier qu'à certains moments. Toute correspondance lui est interdite et toute lecture,
sauf celle d'une bible et d'un livre de prières placés à la tête de la planche qui lui sert de lit. On pense que ses parents ne seront admis à le voir
qu'à la fin de l'année.
Il est toujours seul et ne peut parler à son geôlier qu’à certains moments. Toute correspondance lui est interdite, et toute lecture,
sauf celle d'une bible et d’un livre de prières placés à la tète de la planche qui lui sert de lit.
» Comme nourriture, on lui sert de la viande et du pain noir. Il ne boit que de l'eau, naturellement. Les repas sont à heure fixe, car
il est de toute importance qu'il suive un régime régulier pour accomplir ces travaux si durs auxquels il est soumis tous les jours.
Comme nourriture, on lui sort de la viande et du pain noir. Il ne boit que de l’eau, naturellement. Les repas sont à heure fixé, car il
est de toute importance qu’il suive un régime, régulier pour accomplir ces travaux si durs auxquels il est soumis tous les jours.
» Le dimanche, il est conduit à la chapelle de la prison où il assiste au service divin en compagnie des autres convicts. Il écoute le
sermon, non seulement à l'église, mais dans sa chambre, où le clergyman vient le voir une ou deux fois la semaine. Il doit écouter tout ce que le ministre
lui dit sans faire une seule observation, sans proférer un seul mot.
Le dimanche, il est conduit à la chapelle de la prison ou il assiste au service divin en compagnie des autres convicts. Il écoute le
sermon, non seulement à l’église, mais dans sa chambre, où le clergyman vient le voir une ou deux fois la semaine. Il doit écouter tout ce que le ministre
lui dit sans faire une seule observation, sans proférer un seul mot.
» Oscar Wilde ne semble pas souffrir physiquement du hard labour. Un convict libéré de la prison de Pentonville, avant-hier, a dit qu'il
avait assisté au service dimanche en compagnie d'Oscar Wilde et que celui-ci semblait se porter très bien.
Oscar Wilde ne semble pas souffrir physiquement du « hard labour ». Un convict libéré de la prison de Pentonville, avant-hier, a dit
qu’il avait assisté au service dimanche en compagnie d’Oscar Wilde et que celui-ci semblait se porter très bien.
» Comme vous voyez, poursuit l'éminent avocat, le hard labour est d'une sévérité particulière. Beaucoup de convicts, dans le cas d'Oscar
Wilde, ont dit, en sortant de prison, qu'ils eussent préféré dix ans de servitude pénale à ces deux années de hard labour. La souffrance morale égale la
souffrance physique. Je vous le répète, c'est la peine la plus sévère dont notre loi dispose. Ce qui n'a pas empêché le président du tribunal de dire,
dans l'affaire Oscar Wilde, qu'il regrettait de ne pas pouvoir frapper l'esthète d'une condamnation encore plus cruelle. Et il a ajouté :
» — Dans ma longue carrière de magistrat, je n'avais jamais été appelé à juger un cas d'un caractère aussi horrible et aussi révoltant.
»