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Le Petit Parisien - Thursday, May 30, 1895
Difference
Oscar Wilde, l'écrivain anglais qui a été condamné à deux ans de « hard labour » (dur travail), pour avoir rêvé d'amours antiques, est en ce moment très gravement malade. Il doit être à l'infirmerie de la maison de force de Pantonville, où il subit sa peine. Nous disons « il doit être », car personne, ni les amis qui restent au prisonnier, ni les hommes de loi qui l'ont defendu devant le jury criminel, ni sa famille ne sont renseignés à cet égard : aucun rapport ne peut exister entre le condamné et qui que ce soit pendant les premiers mois de la peine.
Toutefois, les hautes murailles de cette prison qui a des airs de forteresse ont laissé passer quelques bruits. On sait que le dimanche 26 mai, quelques jours après sa condamnation, Oscar Wilde a assisté aux offices ; le lendemain, il travaillait selon les rigoureuses conditions légales. Mardi matin, il déclarait à ses geôliers n'avoir pu dormir depuis trois jours et trois nuits et ne pouvoir se lever. Il travailla cependant jusqu'à onze heures du matin ; à ce moment, il dût s'arrêter pris d'un évanouissement et fut reconduit dans sa cellule, avec dispense de travail jusqu'au lendemain. Mercredi, il ne put supporter le « hard Labour », on dut l'envoyer à l'infirmerie.
Son état, dit-on à Londres, fait entrevoir l'imminence d'un dénouement fatal. Les plus robustes ne résistent pas à ce châtiment épouvantable.
Qu'est-ce que le « hard labour » ? C'est l'emploi de divers moyens de torture. D'abord le moulin de discipline, un engin de torture des plus ingénieux. Au milieu de la prison une roue gigantesque est placée ; cette roue, de huit mètres de diamètre, dont la circonférence est garnie d'étroites palettes, affleure au bas d'une cabine qui n'a d'autre plancher que les palettes de cette roue. Le prisonnier introduit dans la cabine, la roue tournant, est obligé de suivre le mouvement et de marcher à petits pas rapides d'une palette à l'autre, sous peine d'avoir les jambes broyées entre les palettes qui fuient sous les lourdes pièces de l'échafaudage. Il s'appuie des mains à deux anneaux qui pendent au-dessus de sa tête et, dans cette position, il pèse, de son poids sur les marches de cet étrange escalier tournant.
Une roue énorme, de huit mètres de diamètre, dont la circonférence est garnie d'étroites palettes, affleure au bas d'une cabine qui n'a d'autre plancher que les palettes de cette roue. Le prisonnier introduit dans la cabine, la roue tournant, est obligé de suivre le mouvement et de marcher à petits pas rapides d'une palette à l'autre, sous peine d'avoir les jambes broyées entre les palettes qui fuient sous les lourdes pièces de l'échafaudage. Il s'appuie des mains à deux anneaux qui pendent au-dessus de sa tète et, dans cette position, il pèse de son poids sur les marches de cet étrange escalier tournant.
Cette roue sert de moteur principal pour les divers ateliers de la prison. Elle tourne sous une douzaines de cabines où l'on enferme autant de condamnés qui en actionnent le mouvement de rotation. C'est une économie de charbon.
Cette roue sert de moteur principal pour les divers ateliers de la prison. Elle tourne sous une douzaine de cabines où l'on enferme autant de condamnés qui en actionnent le mouvement de rotation. C'est une économie de charbon.
Après deux heures et demie de cette gymnastique, durée ordinaire de cette terrible corvée quotidienne, l'homme est dans un état de délabrement physique et moral qui l'empêche d'agir et de penser. Du reste la loi ne permet pas au juge de faire durer ce châtiment plus de deux ans.
Après deux heures et demie de cette gymnastique, durée ordinaire de cette terrible corvée quotidienne, l'homme est dans un état de délabrement physique et moral qui l'empêche d'agir et de penser. Du reste la loi ne permet pas au juge de faire durer ce châtiment plus de deux ans, l'expérience ayant démontré que les plus robustes n'y résistent pas au delà de ce terme.
L'expérience a démontré qu'aucun condamné n'atteint le terme.
Et jour et nuit, la roue tourne, tourne. Si le condamné fait mine de s'arrêter, n'en pouvant plus, les gardiens le réveillent d'un coup de lanière.
Le condamné est pesé nu le premier jour. D'après les règlements il faut qu'il maigrisse et il passe fréquemment sur la bascule pour que l'effet du régime soit régulièrement constaté. S'il ne maigrit pas assez vite suivant l'ordonnance, on augmente son lot de tours de roue.
Le condamné est pesé nu le premier jour. D'après les règlements il faut qu'il maigrisse et il passe fréquemment sur la bascule pour que l'effet du régime soit régulièrement constaté.
Le condamné se repose, pensez-vous. En effet, quand il sort du moulin de discipline, on le traine dans une cellule infecte, et là, assis par terre, il effiloche les vieux cordages gondronnés de la marine. Il doit les réduire en étoupes ; ses mains suffisent à cette navrante besogne. La peau se déchire sur ces mailles goudronnées et dures ; les ongles cassent, le sang coule, les muscles de la main se raidissent.
S'il refuse de travailler, le fouet. Ce n'est pas le fouet banal et peu méchant dont on menace les enfants en veine de désobéissance ; il s'agit d'un fouet à cinq lanières terminées chacune par un nœud. Le malheureux est dépouillé de ses vêtements ; étendu face contre terre, il reçoit les coups sur le dos. Le premier n'enlève que la peau, le second cingle en pleine chair vive et sanglante.
Enfin, quand cette journée de supplice est finie, qu'il n'est plus possible d'exiger de la bête humaine le moindre effort, l'heure du repos arrive : du pain sec, un morceau de graisse sont jetés au forçat par un vasistas, comme on jette derrière une grille un morceau de viande à un fauve. Et dans un angle du cachot, un lit de camp en bois, sans matelas, avec une seule couverture, attend le malheureux qui s'endort, et voudrait ne plus se réveiller.
Il y avait autrefois dans les grandes auberges un tambour tourne-broche où l'on introduisait un pauvre diable de chien qui, par son poids et en marchant à une allure régulière, entretenait le mouvement de rotation du tambour.
Il y avait autrefois dans les grandes auberges un tambour tourne-broche où l'on introduisait un pauvre diable de chien qui, par son poids et en marchant à une allure régulière, entretenait le mouvement de rotation du tambour.
Ce même principe était appliqué dans les campagnes pour mouvoir les batteuses. On faisait marcher un mulet sur les marches d'un plan incliné sans fin faisant tourner l'axe du cylindre batteur.
Ce même principe était appliqué dans les campagnes pour mouvoir les batteuses. On faisait marcher un mulet sur les marches d'un plan incliné sans fin faisant tourner l'axe du cylindre batteur.
Ni le chien du tourne-broche ni le mulet des batteuses ne duraient longtemps à cet exercice épuisant.
Ni le chien du tourne-broche ni le mulet des batteuses ne duraient longtemps à cet exercice épuisant.
Voilà le « hard labour » ; voilà le châtiment qui a frappé Oscar Wilde, le dramaturge mondain couru dans les salons de Londres. Ceux qui n'en meurent pas restent abrutis, stupéfiés.
Les Anglais ont, comme nous, les travaux forcés, qu'ils appellent servitude pénale. Il n'y a pas de différence sensible entre leurs bagnes et les nôtres. Autre chose est le « dur travail ». Dreyfus est un heureux de la terre auprès d'Oscar Wilde, qui n'a pas trahi sa patrie.
Les Anglais ont, comme nous, les travaux forcés, qu'ils appellent servitude pénale. Il n'y a pas de différence sensible entre leurs bagnes et les nôtres, et nos forçats n'ont rien à envier à leurs forçats.
Le « hard labour », c'est la « meule » des Romains qui, jadis, condamnaient les malfaiteurs à tourner la meule qui broyait le blé des greniers publics, dont on distribuait la farine à la plèbe.
Le « moulin de discipline » des Anglais a dû être copié sur la « meule » des anciens Romains. Ils condamnaient les voleurs à tourner la meule qui broyait le blé des greniers publics, dont on distribuait la farine à la plèbe.
Comme les anciens, les Anglais qui se donnent comme les maîtres de la civilisation, utilisent et transforment la peine des malheureux en force motrice. Cela ne les empêche pas d'aller porter aux quatre coins du monde, la bible en mains, des paroles de paix et de pardon ; ils parlent de leur générosité, de leur philanthropie.
Ils ont protesté contre les traitements imposés aux nihilistes russes exilés en Sibérie et défrichant des terrains incultes, creusant des canaux, construisant des routes. Qu'est ce donc que cela à côté du « hard labour » qui fait penser au tonneau hérissé de pointes dans lequel Carthage enfermait les prisonniers qu'elle punissait de l'avoir combattue ?
Oscar Wilde, détraqué de sens et de cervélle, était digne de Charenton ; son cas relevait de la correctionnelle et frappé pour outrages aux mœurs ou attentats à la pudeur, il méritait deux ans de cellule, pendant lesquels il aurait fabriqué des chaussons de lisières ou des abat-jour. Après quoi, sa peine terminée, il serait allé boire sa honte ailleurs, loin des hommes qui le méprisent. En le frappant de peines fantastiques, hors de proportion avec ses fautes, la justice anglaise fait pousser un cri en faveur du triste sire ; on se sent pris de pitié pour ce coupable qui n'est plus qu'un mal heureux.
Le châtiment anglais est une monstruosité, aucune loi au monde n'a le droit de tuer à petit feu.