CHRONIQUE
POUR OSCAR WILDE

Je prie M. Stuart Merrill de me faire l'honneur d'inscrire mon nom parmi le signataires de la pétition, dont il a pris l'initiative, en faveur d'Oscar Wilde. Même si cet acte public n'obtenait pas gain d'humanité auprès de la reine d'Angleterre, il aurait le résultat de provoquer autour de la situation de notre infortuné confrère un mouvement d'opinion.

On ne saurait assez rappeler qu'Oscar Wilde, aux travaux forcés, endure un supplice abominable, que le régime des maisons de force anglaises exige le dépérissement du prisonnier et qu'on le pèse chaque quinzaine afin de mesurer l'intensité de l'épreuve.

La dernière fois où Oscar Wilde a pu être vu, son état de maigreur, de misère et de déchéance physique était si manifeste qu'il est indubitable que M. Stuart Merrill pose une question de vie ou de mort.

Toutes les répressions sont lâches, hypocrites, et cherchent à donner le change sur la nature des châtiments qu'elles raffinent. La vérité, aujourd'hui, nous la tenons des sources les plus sûres, — c'est que si Oscar Wilde n'est pas relaxé prochainement, il mourra sous la géhenne.

La généreuse initiative des hommes de lettres français ne serait pas seulement une preuve de solidarité intellectuelle entre tous ceux qui tiennent une plume : elle permettrait aux littérateurs anglais neutralisés par la peur de l'opinion de s'inscrire à la suite et de participer à la libération du condamné.

Lorsqu'on m'annonça le projet de pétition, il me parut tout à fait sensé et pratique. Je ne m'imaginais pas que le sens en pût être méconnu ou que des littérateurs en possession de la renommée et de la fortune répugneraient à donner leur signature dans la crainte de se compromettre. C'est ainsi pourtant que la manifestation commença ; à part Maurice Donnay et mon ami Lucien Descaves qui seprononcèrent clairement et bravement pour l'humanité, les autres hommes de lettres consultés publiquement ont soit équivoqué en évitant de répondre, soit accablé le prisonnier. Un auteur dramatique, célèbre pour ses acquisitions, a renvoyé le pourceau à son fumier ; un des écrivains les plus distingués du temps a dénié à Wilde talent et esprit : le moment n'était peut-être pas à la critique. Tous enfin se sont inspirés de leur intérêt immédiat et des appréciations ambiantes.

Il ne s'agissait pourtant pas de savoir si l'auteur dè Dorian Gray est un écrivain de marque, encore que ce livre me paraisse au plus haut point curieux et d'un art singulier : il n'était proposé à aucun des signataires d'approuver les mœurs des antiphysiques ; on demandait que par la générosité d'honnêtes littérateurs Oscar Wilde, coupable de vice socratique, ne mourût pas au bagne supplicié, exténué. Solliciter un acte de clémence, ce n'est pas, que je sache, exalter la coulpe.

N'y a-t-il pas dans cette réserve, cette prudence un peu de pharisaïsme ? en est-il vraiment qui redouteraient d'être soupçonnés de trop de complaisance ?... Je me rappelle qu'il y a quatre ans à peine Oscar Wilde fut le great event de la saison de Paris. On vantait son talent, son esprit, on le recherchait, on le choyait dans les salons ; des littérateurs organisaient des repas en son honneur. Personne, en ce temps-là, à Paris comme à Londres, n'ignorait ses affinités électives, qui lui avaient déjà valu à Oxford un fâcheux traitement. Tout le monde lui pardonnait ou feignait d'ignorer.

Maintenant qu'il est condamné, affligé, misérable, les plus autorisés se refusent à lui accorder la vie dans un paraphe...

Envoyez-nous la pétition, Monsieur Merrill ; je connais encore vingt hommes de cœur qui la signeront.

HENRY BAUER.

CHRONIC
FOR OSCAR WILDE

I beg Mr. Stuart Merrill to do me the honor of inscribing my name among the signatories of the petition, which he initiated, in favor of Oscar Wilde. Even if this public act did not obtain any gain in humanity from the Queen of England, it would have the result of provoking a movement of opinion around the situation of our unfortunate colleague.

We cannot sufficiently recall that Oscar Wilde, at forced labor, endured an abominable torture, that the regime of English prisons required the prisoner to waste away and that he was weighed every fortnight in order to measure the intensity of the ordeal. .

When Oscar Wilde was last seen, his state of leanness, misery and physical decay was so manifest that there is no doubt that Mr. Stuart Merrill poses a question of life and death.

All repressions are cowardly, hypocritical, and seek to mislead the nature of the punishments they refine. The truth today, we have it from the most reliable sources, is that if Oscar Wilde is not released soon, he will die in Gehenna.

The generous initiative of French men of letters would not only be a proof of intellectual solidarity between all those who hold a pen: it would allow English writers neutralized by fear of public opinion to follow suit and participate in the release of the convict.

When the petition project was announced to me, it struck me as quite sensible and practical. I did not imagine that the meaning could be misunderstood or that writers in possession of fame and fortune would be reluctant to give their signature for fear of compromising themselves. It was thus, however, that the demonstration began; apart from Maurice Donnay and my friend Lucien Descaves who spoke out clearly and bravely for humanity, the other men of letters who were consulted publicly either equivocated and avoided answering, or overwhelmed the prisoner. A playwright, famous for his acquisitions, sent the swine back to his dunghill; one of the most distinguished writers of the time denied Wilde talent and wit: perhaps the time was not right for criticism. Finally, all were inspired by their immediate interest and ambient appreciations.

It was not however a question of knowing if the author of Dorian Gray is a writer of mark, although this book seems to me at the highest point curious and of a singular art: it was not proposed to any of the signatories of to approve the mores of the antiphysicals; it was asked that, through the generosity of honest writers, Oscar Wilde, guilty of Socratic vice, not die in the prison, tortured and exhausted. Asking for an act of clemency is not, as far as I know, exalting culpability.

Is there not in this reserve, this prudence a little self-righteousness? Are there really any who would be afraid of being suspected of being too complacent?... I remember that barely four years ago Oscar Wilde was the big event of the season in Paris. They praised his talent, his wit, they sought him out, they pampered him in the salons; writers organized meals in his honor. No one at that time, in Paris as in London, was unaware of his elective affinities, which had already earned him unfortunate treatment at Oxford. Everyone forgave him or pretended not to know.

Now that he is condemned, afflicted, miserable, the most authoritative refuse to grant him life in a signature...

Send us the petition, Mr. Merrill; I still know twenty brave men who will sign it.

HENRY BAUER.

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