Courrier de Paris

L'effroyable torture dont meurt Oscar Wilde a ému quelques âmes d'artistes qui planent au-dessus des ivresses et des misères terrestres. Je ne crois guère à l'efficacité de leur intervention, et la supplique qui se signe en ce moment prendra place un de ces jours dans le Livre des légendes d'Andhré et Jacques des Gâchons. Ce n'est ni un crime ni un délit qu'a frappé la justice anglaise, c'est un péché. Un péché dans quelques pays seulement. En Asie, en Afrique, point. Et, sur notre continent même, un grand empire s'étonne d'une rigueur dont les motifs lui échappent. M. Stuart Merrill trouve à Constantinople une précieuse alliance. La tardive protestation qui ne tardera pas à arriver à Londres par la voie diplomatique pourrait amener une détente de l'opinion et, sinon la grâce complète du pécheur, au moins une charitable atténuation de sa peine.

Osman-Edding-Bey, attaché d'ambassade, a bien voulu me laisser prendre une copie de ce document suggestif :

« A M. le marquis de Salisbury.
» Monsieur le ministre, milord,

» Les soussignés, représentants de quatre cent millions de fidèles, vous prient de communiquer à votre très gracieuse souveraine la respectueuse protestation des musulmans indignés du traitement imposé par une législation barbare à un remarquable écrivain dont la réputation serait restée intacte, s'il était né a Stamboul ou à Téhéran. M. Oscar Wilde a été condamné pour avoir mené sous d'autres climats la vie de famille en Orient. Les Turcs sont-ils donc le rebut de l'humanité parce qu'ils aiment la jeunesse sans se préoccuper de savoir si l'objet de leur flamme est prénominé Aly ou Namouna ? Virgile ne parlait-il pas du beau Corydon avec autant d'enthousiasme et de passion qu'en mit Ovide à célébrer Julie, fille d'Auguste ?

» Quelques particuliers, qui s'affublent de vieilles perruques pour rendre des arrêts odieux et bouffons, flétrissent sous votre ciel enfumé des hommes qui, aux Indes, seraient recherchés du meilleur monde. Sa Très Gracieuse Majesté, la reine du Royaume-Uni, est aussi impératrice des Indes (limited), la souveraine de plusieurs millions de musulmans dont la conscience est révoltée de la condamnation d'Oscar Wilde.

» Nos pachas, nos beys, nos effendis n'oseront plus se risquer à visiter la capitale de l'Angleterre par crainte du hard labour. C'est une bravade que de condamner à confectionner des étoupes des hommes naturellement ardents.

Qu'arriverait-il du commandeur des croyants, s'il allait souper à Savoy-Hôtel ? Un long frémissement a parcouru comme un mascaret les plaines et les villes de l'Orient. La Turquie s'est indignée, l'Egypte a tressailli, les Indes ont levé les bras au ciel ; l'influence de l'Angleterre a reçu un coup terrible. L'auteur du Portrait de Dorian Gray, s'il survit à sa peine, pourra venir se fixer sur les rives du Bosphore ; il y aimera et y sera aimé comme nos gouverneurs, comme nos vizirs, comme nos généraux.

« Qu'Allah vous ouvre les yeux et vous délivre de vos préjugés !

« OSMAN EDDIN-BEY,
« TABAR-PACHA,
« ZIEZ-EFFENDI ».

Courier from Paris

The appalling torture from which Oscar Wilde dies has moved some souls of artists who hover above earthly intoxication and misery. I hardly believe in the effectiveness of their intervention, and the plea that is being signed at the moment will take its place one of these days in the Book of legends of André and Jacques des Gâchons. It is neither a crime nor a misdemeanor that English justice has struck, it is a sin. A sin in only a few countries. In Asia, in Africa, period. And, on our very continent, a great empire is astonished by a rigor whose motives escape it. Mr. Stuart Merrill finds a valuable alliance in Constantinople. The belated protest, which will soon reach London through the diplomatic channel, could lead to a relaxation of public opinion and, if not the complete pardon of the sinner, at least a charitable alleviation of his pain.

Osman-Edding-Bey, Embassy Attaché, kindly let me take a copy of this suggestive document:

“To the Marquess of Salisbury.
“Minister, my lord,

"The undersigned, representatives of four hundred million faithful, beg you to communicate to your very gracious Sovereign the respectful protest of Muslims indignant at the treatment imposed by barbarous legislation on a remarkable writer whose reputation would have remained intact, had he been born in Istanbul or Tehran. Mr. Oscar Wilde was condemned for having led family life in the Orient in other climates. Are the Turks therefore the scum of humanity because they love youth without worrying about whether the object of their flame is named Aly or Namouna? Didn't Virgil speak of the handsome Corydon with as much enthusiasm and passion as Ovid did in celebrating Julie, daughter of Augustus?

A few private individuals, who deck themselves out in old wigs to render odious and buffoonish judgments, wither under your smoky sky men who, in India, would be sought after by the best society. Her Most Gracious Majesty, the Queen of the United Kingdom, is also Empress of India (limited), the ruler of several million Muslims whose conscience is revolted by the condemnation of Oscar Wilde.

Our pashas, our beys, our effendis will no longer dare to venture to visit the capital of England for fear of hard labour. It is bravado to condemn men who are naturally ardent to make tow.

What would happen to the Commander of the Faithful if he went to supper at Savoy-Hotel? A long shudder ran like a bore through the plains and cities of the Orient. Turkey was indignant, Egypt trembled, the Indies raised their arms to heaven; the influence of England has received a terrible blow. The author of the Portrait of Dorian Gray, if he survives his sentence, will be able to settle on the banks of the Bosphorus; he will love and be loved there like our governors, like our viziers, like our generals.

“May Allah open your eyes and deliver you from your prejudices!

“OSMAN EDDIN-BEY,
“TABAR-PACHA,
“ZIEZ-EFFENDI”.

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