GAZETTE DES TRIBUNAUX
TRIBUNAUX ÉTRANGERS: L'affaire Oscar Wilde
(Par dépêche de notre correspondant spécial)

Londres, 11 avril

Oscar Wilde a comparu ce matin, à Bow-Street, devant sir John Bridge. A ses côtés était Taylor, accusé de proxénétisme. Le tribunal était rempli de curieux, parmi lesquels pas mal de jeunes gens trop jolis.

Sir Edward Clarke, qui se charge de la défense de Wilde à titre, gracieux, était présent.

Le défilé des témoins a commencé par Parker, le jeune valet de chambre déjà entendu. Il reconnaît avoir reçu trente livres d'un gentleman pour se taire sur les relations que celui-ci avait eues avec lui. Vient ensuite un gros, gras, grand garçon, nommé Atkins, dont l'apparence rendrait superflu un interrogatoire. C'est cet éphèbe qu'Oscar Wilde a emmené à Paris, après l'avoir rencontré dans un restaurant londonnien.

Il déclare être resté trois jours à Paris avec Oscar Wilde, qui lui a donné un porte-cigarettes en argent et trois livres sterling au retour. Il détaille avec complaisance certains actes de familiarité entre Oscar Wilde et un garçon de café et Douglas. Le témoin fait rire tout l'auditoire en déclarant ainsi sa profession: acteur et commis de bookmaker. Le jeune Shelley, commis de librairie, dépose à son tour. Il a connu Oscar Wilde chez son patron. Wilde l'invita à dîner dans un hôtel et le garda auprès de lui. Le lendemain, il le mena au theatre, puis souper. Ce témoin, fort ému, a beaucoup de peine à achever sa déposition.

On entend ensuite différentes logeuses, chez lesquelles Parker et Taylor ont demeuré. Elles reconnaissent Oscar Wilde comme ayant été un visiteur de leurs locataires.

Après les logeuses, on entend un garçon d'hôtel et un hôtelier qui déclarent que Wilde a logé dans leurs établissements, où des jeunes gens venaient le voir. L'inspecteur de police Brockwel, qui a fouillé Oscar Wilde à son arrivée à Bow-Street, a trouvé sur lui des papiers, des lettres et trois sommations lancées à la requête de bijoutiers réclamant le payement de bijoux et de porte-cigarettes fournis à Wilde. Il a trouvé aussi une enveloppe adressée à Mavor, contenant une lettre au crayon ainsi conçue: «Cher Sid -- Mavor a pour prénom Sidney -- je n'ai pu attendre plus longtemps; venez immédiatement voir Oscar à Tite-Street-Chelsea, j'y suis. A vous, Alf. Taylor.» L'affaire a été renvoyée au 19 avril. On a beaucoup remarqué l'air abattu de Wilde, qui a vieilli de plusieurs années depuis son arrestation. On dit qu'il est souffrant et que le médecin de la prison a dû lui donner ses soins.

La mère et la femme de Wilde sont dans un état de prostration et de désespoir pénible.

M. Lane, l'éditeur d'Oscar Wilde, a retiré de son magasin tous les livres de Wilde, et on dit que le Musée britannique refuse ses ouvrages à ceux qui demandent à les consulter.

Sir John Bridge a refusé la mise en liberté sous caution. Oscar Wilde reste donc prisonnier.

P. Villars

COURTS GAZETTE
FOREIGN COURTS: The Oscar Wilde case
(By dispatch from our special correspondent)

London, April 11

Oscar Wilde appeared this morning at Bow Street before Sir John Bridge. Beside her was Taylor, accused of pimping. The court was full of onlookers, including quite a few overly handsome young men.

Sir Edward Clarke, who takes on Wilde's defence, graciously, was present.

The procession of witnesses began with Parker, the young valet already overheard. He admits having received thirty pounds from a gentleman to remain silent about the relations he had had with him. Next comes a big, fat, tall boy, named Atkins, whose appearance would make questioning superfluous. It was this youth that Oscar Wilde took to Paris, after meeting him in a London restaurant.

He states that he stayed three days in Paris with Oscar Wilde, who gave him a silver cigarette case and three pounds sterling on his return. It complacently details certain acts of familiarity between Oscar Wilde and a waiter and Douglas. The witness makes the whole audience laugh by declaring his profession: actor and bookmaker clerk. The young Shelley, a bookstore clerk, deposits in his turn. He knew Oscar Wilde at his boss's. Wilde invited him to dine in a hotel and kept him with him. The next day he took him to the theatre, then to supper. This witness, very moved, has great difficulty in completing his testimony.

We then hear different landladies, with whom Parker and Taylor stayed. They recognize Oscar Wilde as having been a visitor to their tenants.

After the landladies, we hear a waiter and a hotelier who declare that Wilde stayed in their establishments, where young people came to see him. Police Inspector Brockwel, who searched Oscar Wilde on his arrival at Bow Street, found on him papers, letters and three summonses issued at the request of jewelers demanding payment for jewels and cigarette cases supplied to Wilde. He also found an envelope addressed to Mavor, containing a penciled letter reading: “Dear Sid -- Mavor's first name is Sidney -- I couldn't wait any longer; come immediately to see Oscar at Tite-Street-Chelsea, I'm there. Over to you, Alfa. Taylor." The case was adjourned to April 19. Much was made of Wilde's dejected look, who has aged several years since his arrest. It is said that he is ill and that the prison doctor had to give him treatment.

Wilde's mother and wife are in a state of painful prostration and despair.

Mr. Lane, Oscar Wilde's publisher, has withdrawn all Wilde's books from his shop, and the British Museum is said to refuse his works to those who ask to see them.

Sir John Bridge refused bail. Oscar Wilde therefore remains a prisoner.

P.Villars

Document matches
None found