CHRONIQUE
La pétition Oscar Wilde

Les amis du poète Oscar Wilde, plus connu en France par ses vices antiphysiques que par ses œuvres, ont imaginé de demander sa grâce à la reine d 'Angleterre au moyen d'une pétition signée des noms les plus illustres de la littérature française.

Si les défenseurs de ce malheureux s'y étaient pris comme il convenait, personne ne se serait refusé à signer une supplique en faveur d'un homme qui a payé ses passions criminelles de son honneur, de sa fortune et peut-être même de sa santé. Le châtiment a été tellement grave que la justice des hommes est largement satisfaite, et il faudrait être bien difficile pour juger que la loi anglaise a manqué de rigueur et de sévérité.

Mais les organisateurs de cette étrange manifestation l'ont pris sur un ton trop haut. Leur pétition est une sorte de protestation déguisée. Wilde n'est plus un condamné, c'est presque une victime des préjugés sociaux et de la morale bourgeoise. On prononce sur son cas de grandes phrases; on dit des bêtises ou des indécences. On veut enfin intéresser la littérature et Paris à son sort, alors que la littérature et Paris s'intéressent fort peu à la condition d'un homme certainement malheureux, mais malheureux par sa propre faute.

Si Oscar Wilde n'est pas un malade, il est bien difficile de solliciter pour lui autre chose qu'une pitié purement matérielle. Je comprends que Coppée n'ait pas voulu lui accorder autre chose. Je ne comprends pas que Bauër se soit étonné de l'expression toute simple d'une propreté élémentaire. Des crimes tels que ceux qui ont été commis par le poète anglais n'ont pas d'autre excuse que des curiosités inavouables et ignobles, qui n'ont aucun rapport avec l'art ni avec la passion. Si François Coppée et Victorien Sardou ont renvoyé le pourceau à son fumier,—ainsi que l'écrit Bauër,—ce n'est point parce qu'ils sont dénués de toute commisération pour le malheureux prisonnier, mais parce qu'il n'y avait rien a dire, en sa faveur, au nom de l'Art et de la Pensée.

Ce qui pourrait être dit, ce qu'il faut dire, au nom de cet Art et de cette Pensée, c'est qu'il est nécessaire de flétrir l'ordure et de dénoncer les dangers de certaines idées trop faciles à traduire. On voit des hommes et des femmes, incapables d'aimer et avides de jouir, chercher des voluptés nouvelles et introuvables dans lesquelles ils ne rencontrent que l'abrutissement, la folie ou la mort. Ces imbéciles et ces malheureux ne se développaient jusqu'ici que dans des milieux restreints, au cœur des grandes cités, réceptacles de tous les germes des maladies sociales et passionnelles, et appartenaient à la pathologie. Or, voici qu'ils pénètrent déjà dans le domaine de l'Art, de même qu'ils ont pénétré dans le temple sacré de l'Amour. Parmi ces créatures, les femmes sont d'une cynique franchise et les hommes, s'ils ne sont pas encore glorieux, prennent moins la peine de dissimuler leurs habitudes effroyables. La pourriture monte lentement. En un mot, si la magistrature anglaise a reconnu l'utilité de faire un exemple en châtiant terriblement Oscar Wilde, nous avons, nous, à prendre des précautions, si nous ne voulons pas assister à l'étalage de maux semblables à ceux dont ne s'effraient que trop justement nos voisins d'outre-Manche. Sardou et Coppée ont donc eu pleinement raison de ne vouloir donner publiquement à Wilde d'autre témoignage que celui d'une pitié pleine de dégoût, tandis que Bauër a eu parfaitement tort de croire que M. Stuart Merrill, auteur de la pétition, pouvait faire un manifeste littéraire d'une simple question d'humanité.

Les organisateurs de cette campagne n'arriveront pas à faire tomber leurs confrères dans une pareille confusion; mais le public commence à trouver que les amis de Wilde attachent beaucoup trop d'importance à sa triste personnalité.

Au-dessus de ces bêtises, de ces exécrables sophismes et de ces indulgences très injustement appliquées, les gens clairvoyants voient tous les maux que l'Homme se crée lui-même par son aveuglement, qu'il prend pour de la hardiesse et pour un progrès intellectuel.

« A cette heure, l'homme descend, écrit Dumas dans la préface de l'Ami des femmes. Il ne sait plus où il en est. Il n'admet plus aucune autorité; il proclame la morale indépendante; il ne veut plus relever que de lui-même… »

Aussi Dumas nous dit-il encore: « Il n'y a plus d'épouses! Il n'y a plus de mères! Il n'y a plus d'enfants! La mamelle est détrônée, la gorge règne. A peine la fécondation a-t-elle rempli le sein des femmes, que les expédients le vident, à moins qu'il ne se tarisse lui-même, faute de ressort intérieur. Les femmes n'ont plus de lait et elles ne veulent plus en donner, même à leurs petits, et celui que leurs nourrices leur vendent ne vaut plus rien ».

Voilà un tableau peint par un maître qui ne reculait jamais devant la vérité. Voilà ce qu'il nous montre d'une société où l'amour profond, sincère et long comme la vie, a été détruit et a tout englouti sous ses ruines, car l'Amour était la supériorité essentielle de l'humanité,

Et non seulement personne, aujourd'hui, ne songe à réédifier ce culte de l'Amour, à lui donner une sève nouvelle; mais des légions de jeunes gens qui n'ont ni vécu ni souffert, qui ne savent pas ce que c'est qu'une vraie femme et qui ne le sauront probablement jamais,—si ça continue,—s'insurgent contre les lois naturelles on divines en croient que le bonheur et l'honneur d'une societé est de refermer tous les éléments de ces pièces du théàtre rosse où les femmes du monde sourient en murmurant: « Oh! comme c'est vrai! » tandis que les catins, visiblement gênées, rougissent!

Si Bauër estime que les porteurs de lyre et les semeurs d'idées qui déposent dans les cerveaux et les âmes de tels ferments font une œvre belle et utile, je ne suis pas de son avis et garde mes admirations pour d'autres audaces que celles de ces malheureux qui meurent, sur cette œvre même, des exécrables et funestes parfums qu'elle dégage.

Edmond Deschaumes.

CHRONIC
The Oscar Wilde Petition

The friends of the poet Oscar Wilde, better known in France for his antiphysical vices than for his works, have imagined asking the Queen of England for her pardon by means of a petition signed by the most illustrious names in French literature.

If the defenders of this unfortunate man had gone about it as they should, no one would have refused to sign a petition in favor of a man who paid for his criminal passions with his honor, his fortune and perhaps even his health. The punishment was so severe that the justice of men is largely satisfied, and it would be very difficult to judge that the English law lacked rigor and severity.

But the organizers of this strange event took it too high a tone. Their petition is a sort of disguised protest. Wilde is no longer a convict, he is almost a victim of social prejudice and bourgeois morality. Long sentences are spoken about his case; we say nonsense or indecency. Finally, we want to interest literature and Paris in his fate, while literature and Paris are very little interested in the condition of a man who is certainly unhappy, but unhappy through his own fault.

If Oscar Wilde is not sick, it is very difficult to solicit anything for him other than purely material pity. I understand that Coppée did not want to give him anything else. I don't understand why Bauër was surprised by the very simple expression of elementary cleanliness. Crimes such as those committed by the English poet have no other excuse than unavowable and ignoble curiosities, which have no connection with art or with passion. If François Coppée and Victorien Sardou sent the pig back to its manure—as Bauër writes—it is not because they are devoid of any compassion for the unfortunate prisoner, but because there is no had nothing to say, in his favor, in the name of Art and Thought.

What could be said, what must be said, in the name of this Art and this Thought, is that it is necessary to brand the filth and to denounce the dangers of certain ideas that are too easy to translate. We see men and women, incapable of loving and eager to enjoy, seeking new and unobtainable voluptuousness in which they only encounter stupefaction, madness or death. These imbeciles and these unfortunates developed until now only in restricted circles, in the heart of large cities, receptacles of all the germs of social and passional illnesses, and belonged to pathology. Now, behold, they are already penetrating into the realm of Art, just as they have penetrated into the sacred temple of Love. Among these creatures, the women are cynically frank, and the men, if they are not yet glorious, take less trouble to conceal their appalling habits. The rot rises slowly. In a word, if the English judiciary has recognized the usefulness of setting an example by punishing Oscar Wilde terribly, we ourselves have to take precautions, if we do not want to witness the display of evils similar to those whose our neighbors across the Channel are all too rightly frightened. Sardou and Coppée were therefore fully right in wanting to give Wilde no other public testimony than that of pity full of disgust, while Bauër was perfectly wrong in believing that Mr. Stuart Merrill, author of the petition, could make a literary manifesto of a simple question of humanity.

The organizers of this campaign will not succeed in bringing their colleagues into such confusion; but the public is beginning to find that Wilde's friends attach too much importance to his sad personality.

Above these stupidities, these execrable sophisms and these very unjustly applied indulgences, clairvoyant people see all the evils that Man creates for himself by his blindness, which he takes for boldness and for a intellectual progress.

"At this hour, the man descends," writes Dumas in the preface to L'Ami des femmes. He no longer knows where he is. It no longer admits any authority; it proclaims independent morality; he no longer wants to depend only on himself…”

Also Dumas tells us again: “There are no more wives! There are no more mothers! There are no more children! The udder is dethroned, the throat reigns. Scarcely has fertilization filled the women's breast than expedients empty it, unless it dries up itself, for lack of inner spring. The women have no more milk and they no longer want to give it, even to their little ones, and the milk that their nurses sell them is no longer worth anything”.

This is a picture painted by a master who never backed down from the truth. This is what he shows us of a society where deep love, sincere and long as life, was destroyed and engulfed everything under its ruins, for Love was the essential superiority of humanity,

And not only does no one today dream of rebuilding this cult of Love, of giving it new life; but legions of young men who have neither lived nor suffered, who do not know what a real woman is, and who probably never will,—if this continues—revolt against natural laws. We divine believe that the happiness and the honor of a society is to close all the elements of these plays of the rough theater where the women of the world smile while murmuring: “Oh! how true! while the whores, visibly embarrassed, blush!

If Bauër considers that the bearers of the lyre and the sowers of ideas who deposit such ferments in the brains and souls do a beautiful and useful work, I do not agree with him and keep my admiration for audacity other than that of these unfortunates who die, on this very work, from the execrable and fatal perfumes it releases.

Edmond Deschaumes.

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