A jour le jour
LES "OSCARISTES"

Il y a, depuis hier, par le monde, une sect de plus, une secte qui manquera pas de fondement: les Oscariste.s

Comment cette secte s'est-elle formée, sous quelle influence a-t-elle fait sa première manifestation? Les dépêches qui viennent de Londres nous l'apprennent. Quand l'esthète Oscar Wilde, en villégiature depuis trois semaines au tribunal de Bow-Street eut laissé passer le défilé de ses accusateurs; quand toutes les femmes de chambre, tous les garçons de bains du Savoye-hôtel eurent fini de raconter leurs histoires; quand les blanchisseuses interpellées eurent, avec des preuves à l'appui, révèle le mystère des chambres parfumées de fleurs et noyées d'ombre, l'accusé se leva, l'œil inspire, la tête fière. Le morne abattement des jours passés fit place à une colère indignée, et, dans la paix fiévreuse et recueillie de la salle, une voix éclatante s'éleva qui fit tressaillir le public et les juges. C'était celle d'Oscar Wilde. L'esthète, jusqu'alors conspué, prêcha triomphalement le nouvel évangile: Il parla de Socrate et de Platon, de Jonathan et de David; dans les saintes écritures oubliées, il alla chercher des appuis et des témoignages; du fond de l'Enéide, Virgile lui-même accourut; et Nisus et Euryale ressuscitèrent, et Castor et Pollux revinrent des enfers pour venir secourir leur jeune camarade. Et ce fut, dans une prosopopée magnifique, une longue théorie d'éphèbes célèbres, doucement enlacés en des attitudes que la poésie a chantées.

L'effet du discours tut tel qu'il y eut des évanouissements dans le prétoire: des bras se Ievèrent pour acclamer la religion nouvelle, et quand I'audience fut terminée, la secte des Oscaristes était fondée. C'est aujourd'hui, sans doute, qu'elle aura son premier martyr, et s'il n'y a pas de martyr, ce sera le premier triomphe.

Qu'il soit condamné ou mis en liberté, voila M. Oscar Wilde devenu grand homme. Le beau scandale des jours passés s'achève presque en apothéose. Et je renonce à disserter plus longtemps sur ce cas d'esthétisme né dans la boue et résolu dans la gloire. Les moralistes perdront désormais leur latin à vouloir approfondir l'oscarisme.

Je me demande même pourquoi nous ressentirions encore pour l'esthète Oscar de l'indignation et de la colère. Les magistrats anglais auraient le droit de se moquer de nous: ne nous ont-ils pas appris eux-mêmes à avoir de la philosophie et à garder le sang-froid? Voilà près d'un mois que leur calme pudeur s'exerce sur une question qui scandaliserait nos consciences. Avec un soin infini, avec un luxe de détails, ils ont, sans souci des banales vertus, fouillé dans le scandale et mis à nu toute la vérité. Ils l'ont cherchée partout, à la loupe, avec joie, avec des raffinements de dilettante: toutes les soubrettes de Savoy-hôtel ont parlé; tous les garçons de restaurant de nuit ont juré devant le Christ; et dans les pièces à conviction étalées à Brown-Street, il y a des documents magnifiques: des chemises sensationnelles et des pantalons inédits. Toutes les gazettes de Londres ont raconté l'exégèse de l'oscarisme et dit quelles phases il dut traverser avant d'être solennellement consacré.

Comment voulez-vous qu'avec de pareilles conditions, une religion qui se fonde ne fasse pas de prosélytes? Si vous ajoutez cela Platon, Socrate, David et Jonathan in vogues; les auteurs classiques pris à témoin et la Bible apportée comme argument de la dernière heure; je ne vois pas Oscar Wilde condamné pour un délit dont l'origine remonte aux temps antédiluviens.

En France, où David et Jonathan ne sont pas considérés comme des jurisconsultes, nos magistrats auraient depuis longtemps, avec les ciseaux de la Loi (hélas, il n'y en a pas d'autres!), coupé la verve de l'esthète Oscar.

En Angleterre, je ne vois qu'un moyen d'arranger toutes choses: si cela ne devait pas trop changer les habitudes des prévenus, je proposerais de les renvoyer dos à dos; il sera plus simple, je crois, d'incorporer Wilde et ses amis dans un régiment de highlanders, où ils pourront tout à l'aise faire à l'oscarisme de nouvelles recrues.

CH. FORMENTIN

day by day
THE "OSCARISTS"

There is, since yesterday, in the world, one more sect, a sect which will not lack foundation: the Oscarists.

How was this sect formed, under what influence did it make its first manifestation? The dispatches which come from London inform us of this. When the esthete Oscar Wilde, on vacation for three weeks at the Bow Street court, had let the procession of his accusers pass; when all the chambermaids, all the bath boys at the Savoye-hotel had finished telling their stories; when the laundresses arrested had, with supporting evidence, revealed the mystery of the rooms perfumed with flowers and drowned in shadow, the accused rose, his eyes inspiring, his head proud. The gloomy despondency of the past days gave way to an indignant anger, and, in the feverish and collected peace of the room, a resounding voice arose which made the public and the judges shudder. It was Oscar Wilde's. The aesthete, hitherto jeered, triumphantly preached the new gospel: He spoke of Socrates and Plato, of Jonathan and David; in the forgotten holy scriptures, he went to seek supports and testimonies; from the depths of the Aeneid, Virgil himself hastened up; and Nisus and Euryale resurrected, and Castor and Pollux returned from hell to rescue their young comrade. And it was, in a magnificent prosopopeia, a long theory of famous ephebes, gently intertwined in attitudes that poetry has sung.

The effect of the speech was such that there were faints in the courtroom: arms were raised to acclaim the new religion, and when the audience was over, the sect of the Oscarists was founded. It is today, no doubt, that she will have her first martyr, and if there is no martyr, it will be the first triumph.

Convicted or set free, here is Mr. Oscar Wilde become a great man. The beautiful scandal of the past days ends almost in apotheosis. And I renounce to dwell any longer on this case of aestheticism born in the mud and resolved in glory. The moralists will henceforth lose their Latin in wanting to deepen the Oscarism.

I even wonder why we would still feel indignation and anger for the esthete Oscar. The English magistrates would have the right to make fun of us: didn't they themselves teach us to have philosophy and to keep a cool head? For almost a month now, their calm modesty has been exerted on a question that would scandalize our consciences. With infinite care, with a wealth of detail, they have, regardless of banal virtues, delved into the scandal and laid bare the whole truth. They looked for her everywhere, with a magnifying glass, with joy, with the refinements of a dilettante: all the maids of the Savoy-hotel spoke; all night waiters have sworn before Christ; and in the exhibits spread out in Brown-Street, there are magnificent documents: sensational shirts and unpublished trousers. All the London gazettes have related the exegesis of the Oscarism and said what phases it had to pass through before being solemnly consecrated.

How can you expect that, with such conditions, a religion that is founded does not make proselytes? If you add that Plato, Socrates, David and Jonathan in vogues; the classical authors taken as witnesses and the Bible brought as an argument of the last hour; I do not see Oscar Wilde condemned for an offense whose origin dates back to antediluvian times.

In France, where David and Jonathan are not considered jurisconsults, our magistrates would have long ago, with the scissors of the law (alas, there are no others!), cut the verve of the esthete Oscar.

In England, I see only one way of arranging all things: if that should not change the habits of the defendants too much, I would propose sending them back to back; it will be simpler, I believe, to incorporate Wilde and his friends into a regiment of Highlanders, where they can easily make new recruits to the Oscars.

CH. FORMENTINE

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