Les Divins

Parbleu, je crois bien que c'est amusant d'en poser au « bourgeois », de ces lapins ; mais quand ils sont de trop forte taille, non seulement Joseph Prudhomme mais John Bull lui-même ferme les bras et les refuse. Or, voilà justement ce qui vient d'arriver au divin poète anglais Oscar Wilde. Car c'en était encore un, celui-là !

Depuis le marquis de Sade, de charentonneque mémoire, on qualifie ainsi de l'épithète bizarre de : divins certains malades d'au delà (soyons polis) qui cherchent la sensation hors des limites de la nature ou, si l'on veut, des bornes de la loi, et l'excellent Oscar était de ces chevaucheurs d'idéal. Il avait délaissé Glycère pour Bathyle.

Ce n'était pas que cette dissidence philosophique nuisit à la gloire de poète qu'il avait et exploitait dans l'île. Bien au contraire, j'imagine. Outre que l'Angleterre est le pays ou le proverbe : « Pêché caché est à moitié pardonné », est le mieux justifié par les moeurs et les us, la rumeur satanique et belphégorienne, dans laquelle l'habile antiphysicien s'avançait ne laissait pas de le parer de cette fatalité professionnelle ou l'on voit le sceau du génie. Cet autre Dante, revenu de l'enfer, en avait encore l'odeur dans son mouchoir.

De telle sorte que, Alfred Tennyson, le barde national, étant mort et sa succession ouverte, Oscar Wilde passait pour l'un de ceux qui devaient y prétendre et pouvaient y appéter. Pour qu'il soit devenu le chantre subventionné de la Grande-Bretagne et des Indes, il ne s'en est fallu peut-être que du lapin trop fort posé à un grand-oncle, je veux dire au père d'une jeune tante. Londres ne demandait au divin que de ne pas étaler sa « divinité », et, pour le reste, elle lui faisait crédit, sur la foi des aèdes antiques, ses maîtres et ses modèles. Par quelle aberration du sens commun, encore plus grave peut-être et certainement plus rare que celle du sens génésique, cet Anglais s'est-il aventuré à braver le cant britannique, c'est-à-dire toute l'Angleterre, et dans quel procès de fou l'a engagé sa vanité, voilà ce que l'on se demande. Car, enfin, il s'agit ici d'un homme supérieurement intelligent, et le monstre sort de l'ordinaire.

A-t-il compté sur la solidarité complice d'un société pourrie jusqu'à l'âme et dont les hautes classes empestent tout le soufre de Sodome et tout le bitume de Gomorrhe ? A-t-il voulu braver l'hypocrisie légendaire d'une race qui se sert de la Bible comme d'une feuille de vigne et impose depuis tant de siècles le scandale de telles duplicités que les Chinois eux-mêmes, de jaunes qu'ils sont, en demeurent béjaunes et saluent leurs maîtres en fourberies ? A-t-il rêvé le rêve impossible, cet Irlandais catholique, d'amener en champ clos le protestantisme vainqueur et persécuteur et de lui renfoncer dans la gorge le mensonge de sa respectabilité implacable ?

Tout cela est possible, mais, réflexion faite, j'incline plutôt à ma première hypothèse, celle du lapin posé à John Bull, le Joseph Prudhomme de l'île.

Oscar Wilde, en effet, est venu à Paris. Il y est venu, si mes souvenirs sont exacts, à l'époque même où notre Renaissance pornologique battait son plein dans les arts, et notamment dans celui qu'il exerce, l'art des Lettres. C'était après la grande dégringolade du naturalisme, lâché par son inventeur même, soit à l'aurore de ce symbolisme décadent, placé, on ne sait trop pourquoi, sous l'invocation de Charles Baudelaire, qui fut toujours le plus clair des poètes. Pendant ce laps, où le cosmopolistisme atteignit l'état aigu, il sembla à tous ceux qui suivent le mouvement de notre littérature, que, ni au théâtre, ni dans le livre, ni même dans les journaux, les poètes français ne pussent plus s'embarquer pour Cythère sans faire escale à Lesbos et revenir par le mer Morte. Quelques-uns même, profitant du voisinage de ce lac d'asphalte avec la cité sainte, poussaient jusqu'à Jérusalem et y découvraient le Calvaire. Les bourgeois étaient épatés.

L'épatement du bourgeois est, en France, la condition sine qua non de réussite d'une évolution artistique : Or, pendant quelque temps (le temps voulu, car on se range ensuite), notre brave Tiers en eut son compte. Chaque matin, on lui servait un divin nouveau, grillé d'un côté par le feu d'enfer et, de l'autre, tout frais des baisers rédempteurs du Christ. Il en surgit dont Vénus callipyge et la vierge Marie se disputaient la possession : Vénus prenait le corps, la Madone gardait l'âme, et la langue restait à la Belgique. L'épatement du bourgeois confinait à l'écarquillement.

Nous sommes le peuple littéraire. Tout bachelier recèle un poète caché, à qui il n'a manqué, pour être un Victor Hugo, que de l'être, et qui souffre démocratiquement de cette injustice. C'est ainsi que tous les Corses sont des Napoléons, moins la veine. De telle sorte que les divins, jeunes maîtres exsangues et bien cravatés, furent accueillis par la foule bachelière avec le même enthousiasme que leurs prédécesseurs l'avaient été et que leur successeurs le seront encore. Ils se donnaient pour sodomistes lyriques et pour lesbiens apostoliques et romains, le tout par patriotisme intellectuel, et simplement pour doter la France d'une Ecole contemporaine. Par mode et faveur spéciale, on les exempta de Bruxelles, et ils purent éditer à Paris. Ils y grouillèrent, au grand désespoir de Jules Simon et de Bérenger, sénateurs sans patience. Leur maladie était littéraire, par conséquent elle avait droit à la lumière. En art, la liberté commence à la licence.

Ce fut au milieu de ce grouillement qu'Oscar Wilde débarqua à Paris, et tout de suite sa curiosité fut éveillée sur une nouveauté qui répondait si bien aux tendances naturelles de son génie. D'ailleurs, on lui fit fête. Les organes de l'actualité ne tirèrent plus qu'à son service. Ses mots et ses pensées remplissaient la ville. Personne, auprès de lui, n'avait plus l'air d'être célèbre.

Pourtant, il ne s'emballa point. Il voulut même sans doute approfondir le mouvement qui, à un expert tel que lui, devait sembler factice. Il s'aperçut d'abord que dans ce satané pays de la blague, les goûts socratiques sont surtout consacrés par la rigolade et que leur exception n'alimente guère que le rire. Réduits par la morale populaire à la valeur de sondages anatomiques, ils servent surtout de thème aux facéties de fumoir et particulièrement aux marseillades on n'a pas le vice sérieux sous le gai soleil de la terre franche.

Ne pouvant se résigner à croire que des sénateurs fulminassent à blanc contre les pornologues et gaspillassent de façon si légère les bonnes foudres de la vertu, le voyageur se mêla de plus près au groupe des divins Parisiens et se fit présenter aux plus formidables. Mais il ne tarda pas à se convaincre que ces initiés n'avaient pas même lu Justine, que ces téméraires professaient une terreur affreuse de la police, et que ces pauvres bougres enfin, c'est le cas de le dire, n'étaient que de pauvres diables besogneux et timides auxquels la nécessité de gagner leur vie imposait la comédie douloureuse du sadisme. La plupart méritait le prix Monthyon, et pas un ne valait deux jours de bagne seulement, loi Bérenger comprise. Le grand mouvement érotico-mystique n'était qu'un lapin posé à Joseph Prudhomme, par des débutants farceurs et pressés de gloire.

Peut-être la mystification parut-elle si drôle à Oscar Wilde qu'il a voulu la renouveler à Londres sur ses compatriotes. Je ne m'explique pas autrement son procès ni l'attitude qu'il y tint. Elle est trop à la blague pour la grave Albion. Ça n'a pas pris là-bas, ah ! non, fichtre ! Et puis, l'embêtant c'est que, lui, il est sincère, il pratique.

ÉMILE BERGERAT.

The Divines

Parbleu, I do think it's amusing to ask the "bourgeois" of these rabbits; but when they are too tall, not only Joseph Prudhomme but John Bull himself closes his arms and refuses them. Now, this is precisely what has just happened to the divine English poet Oscar Wilde. Because it was still one, that one!

Since the Marquis de Sade, of Charentonneque memory, we have thus qualified with the bizarre epithet of: divine certain patients from beyond (let us be polite) who seek sensation outside the limits of nature or, if you will, bounds of the law, and the excellent Oscar was one of those riders of ideals. He had left Glycère for Bathyle.

It was not that this philosophical dissidence harmed the poetic glory he had and exploited on the island. Quite the contrary, I imagine. Besides the fact that England is the country where the proverb: "Hidden sin is half forgiven," is best justified by customs and customs, the satanic and Belphegorian rumor in which the skilful antiphysician advanced did not leave to adorn it with this professional fatality in which we see the seal of genius. This other Dante, back from hell, still had the smell of it in his handkerchief.

So that, Alfred Tennyson, the national bard, being dead and his estate open, Oscar Wilde passed for one of those who should and could claim it. For him to have become the subsidized cantor of Great Britain and the Indies, it only took perhaps the rabbit too loudly posed to a great-uncle, I mean the father of a young aunt . London only asked the divine not to display his "divinity," and for the rest she gave him credit, on the faith of the ancient bards, his masters and his models. By what aberration of common sense, even more serious perhaps and certainly rarer than that of the genetic sense, did this Englishman venture to defy the British cant, that is to say all of England, and What madman's trial his vanity has engaged him in, that's what one wonders. Because, after all, it is a question here of a superiorly intelligent man, and the monster is out of the ordinary.

Did he count on the complicit solidarity of a society rotten to the core and whose upper classes reek of all the sulfur of Sodom and all the bitumen of Gomorrah? Did he want to defy the legendary hypocrisy of a race that uses the Bible like a fig leaf and has imposed for so many centuries the scandal of such duplicities as the Chinese themselves, of scabs that they are, remain jaundiced and greet their masters in deceit? Did he dream the impossible dream, this Catholic Irishman, of bringing victorious and persecuting Protestantism into a closed field and driving the lie of his implacable respectability down its throat?

All this is possible, but, on reflection, I rather incline to my first hypothesis, that of the rabbit posed to John Bull, the Joseph Prudhomme of the island.

Oscar Wilde, indeed, came to Paris. He came there, if my memories are correct, at the very time when our pornological Renaissance was in full swing in the arts, and in particular in his practice, the art of Letters. It was after the great tumble of naturalism, dropped by its very inventor, or at the dawn of this decadent symbolism, placed, one does not really know why, under the invocation of Charles Baudelaire, who was always the clearest of poets . During this lapse, when cosmopolism reached the acute state, it seemed to all those who follow the movement of our literature, that, neither in the theater, nor in the book, nor even in the newspapers, the French poets could no longer Embark for Kythera without stopping at Lesbos and return by the Dead Sea. Some even, taking advantage of the neighborhood of this lake of asphalt with the holy city, pushed on as far as Jerusalem and there discovered Calvary. The bourgeois were amazed.

The amazement of the bourgeois is, in France, the sine qua non condition for the success of an artistic evolution: However, for some time (the desired time, because we then settle down), our brave Tiers had his account. Every morning he was served a divine new, roasted on one side by the fire of hell and, on the other, fresh from the redemptive kisses of Christ. There arose from it whose possession Venus Callipyge and the Virgin Mary disputed: Venus took the body, the Madonna kept the soul, and the language remained with Belgium. The amazement of the bourgeois bordered on widening.

We are the literary people. Every high school graduate harbors a hidden poet, who, in order to be a Victor Hugo, lacked nothing but being, and who democratically suffers from this injustice. This is how all Corsicans are Napoleons, minus the luck. In such a way that the divine young masters, bloodless and well-tieed, were welcomed by the baccalaureate crowd with the same enthusiasm as their predecessors had been and their successors will still be. They presented themselves as lyrical sodomists and as apostolic and Roman lesbians, all out of intellectual patriotism, and simply to endow France with a contemporary school. By fashion and special favour, they were exempted from Brussels, and they were able to publish in Paris. They swarmed there, to the great despair of Jules Simon and Bérenger, senators without patience. Their illness was literary, therefore it had a right to light. In art, freedom begins with license.

It was in the midst of this swarm that Oscar Wilde landed in Paris, and his curiosity was immediately aroused by a novelty which corresponded so well to the natural tendencies of his genius. Besides, we celebrated him. The news organs only fired in his service. His words and thoughts filled the city. No one around him seemed to be famous anymore.

However, he did not get carried away. He no doubt even wanted to deepen the movement which, to an expert such as himself, must have seemed artificial. He noticed first of all that in this damned country of jokes, Socratic tastes are above all consecrated by laughter and that their exception hardly fuels anything but laughter. Reduced by popular morality to the value of anatomical soundings, they serve above all as a theme for smokehouse pranks and particularly for marseillades, one does not have serious vice under the gay sun of the Frankish land.

Unable to resign himself to believing that senators fulminated blankly against pornologists and squandered so lightly the good thunderbolts of virtue, the traveler mingled more closely with the group of divine Parisians and had himself introduced to the most formidable. But he was not long in convincing himself that these initiates had not even read Justine, that these reckless professed a dreadful terror of the police, and that these poor buggers finally, it is the case to say it, were only poor needy and shy devils on whom the need to earn a living imposed the painful comedy of sadism. Most of them deserved the Monthyon prize, and not one was worth just two days in prison, Bérenger law included. The great erotic-mystical movement was only a rabbit posed to Joseph Prudhomme, by beginners jokers and in a hurry of glory.

Perhaps the mystification seemed so funny to Oscar Wilde that he wanted to repeat it in London about his compatriots. I can't explain his trial or his attitude to it any other way. She's too joking for serious Albion. It didn't take there, ah! no, damn it! And then, the annoying thing is that he is sincere, he practices.

EMIL BERGERAT.

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