LA CHRONIQUE
MŒURS LITTÉRAIRES

On pétitionne, — à la reine d'Angleterre, — pour obtenir la grâce totale, voire partielle d'Oscar Wilde. On se souvient de la position fâcheuse où s'était mis le lamentable esthète, et de quelle peine disproportionnée, trois ans de hard labour, il paie son amitié avec lord Douglas, indemne, lui : la justice anglaise ne saurait rien envier à celle d'autre pays ! Des poètes français se sont émus généreusement, aux prisons que l'on nous rapporte, qui menacent d'être mortelles au remarquable écrivain de Dorian Gray ; ils s'occupent de créer un mouvement en faveur de leur confrère d'outre Manche ; mais il paraît que cela ne va pas tout seul ; la question est fort délicate aussi et l'on comprend que les maîtres demandent à réfléchir.

Oscar Wilde subit une peine de droit commun ; ce n'est pas à propos d'une opinion politique, d'un écrit qu'il fut frappé ; l'hésitation est donc permise ; s'il ne s'agissait que d'épargner à un coupable, quel qu'il soit, la dureté de l'expiation, il n'est guère d'écrivains qui s'abstiendraient, sans doute, de pencher au pardon, à l'oubli ; mais, aujourd'hui, l'espèce est différente ; on sollicite la signature des anciens, et l'on mêle à la supplique une pensée de derrière la tête — honny soit qui mal y pense ; on ne dit pas assez nettement de quoi il retourne ; et tandis que l'on soulève, d'une part, un seul débat d'humanité, on laisse subsister, par ailleurs, un autre conflit ; beaucoup peuvent accorder de la valeur aux œuvres d'Oscar Wilde, et limiter léur estime à sa personne ; or, l'on se plaît à laisser subsister l'équivoque, comme l'a fort bien noté M. Henry Fouquier — la bête noire des jeunes !

En effet, à ceux dont la signature considérable eût pu traverser le détroit avec quelque chance d'être examinée, ce n'est pas que d'appuyer un recours en grâce qu'on demande, c'est presque de s'associer à une manifestation littéraire à l'honneur d'un martyre de l'idée ; c'est excessif ; nombre d'esprits fort libres veulent bien s'abstenir de juger sur le cas d'Oscar Wilde, admettre qu'il n'y a pas faute de sa part contre l'ordre social, et que la loi ici est inique; ils réclament, du moins, de n'être pas traités, eux, en criminels, parce qu'ils préfèrent autre chose et s'abstiennent de l'intimité des boys du télégraphe ou de l'écurie ; il se pourrait que M. Alexandre Dumas, par exemple, eût hésité à signer en même temps que M. Eckhoud, qui dédie un livre, de la sorte : A Monsieur Oscar Wilde, au poète et au martyr païen, torturé au nom de la justice et de la vertu protestantes.

C'est peut-être « lapidaire et d'un beau courage », comme affirme le Mercure de France ; mais ce peut bien ne pas être du goût de tout le monde ; Oscar Wilde a fait preuve de talent ; le châtiment qui l'atteint pour un fait puni par la loi anglaise, d'ailleurs prouvé, est effroyable, démesuré ; les écrivains français qui lui obtiendront adoucissement ou libération auront accompli d'excellente charité ; les écrivains français qui persistent à ne pas vouloir être notés comme de son entourage ne commettent peut-être tout de même pas un méfait...

Voilà, un problème où ne s'arrêtera donc pas Alexandre Dumas, décédé sur la Route de Thèbes. I1 y eût apporté une opinion réfléchie, étayée de raisons — là où tant de ses confrères du livre ou du théâtre ne sont poussés ou retenus que par de petits motifs personnels : faire ou ne pas faire, — comme celui-ci ou celui-là. Aussi, ses préfaces, lettres, interviews n'étaient-elles pas quelconques ; ce fut une copie abondante, toujours prête à tomber comme une manne, dans le désert du reportage ! Il connaissait sa presse, il l'a montré encore en mourant de la manière qu'il fallait, pas à l'improviste comme tant de maladroits, dont il n'y a pas de moyen de parler, même à leur mort. Les colonnes des journaux étaient préparées pour recevoir la triste nouvelle ; cela a été comme un compte rendu unanime de première — cette dernière : cette gloire, que les grands quotidiens enterrent sous les fleurs, les petites revues où sont déposés les registres pour Oscar Wilde, lui jetteront tout le moins des pierres dédaigneuses ou brutales ; on lapidera la mémoire du dramaturge moraliste, à qui les générations d'aujourd'hui enthousiastes, pour l'heure, de l'Est et du Nord, ne sauront pas assez être reconnaissantes de ses audaces d'hier et d'avant-hier.

Pendant que l'on emprisonne en Angleterre, que l'on enterre en France, les littérateurs qui vivent et circulent se chamaillent avec leurs éditeurs. C'est une vieille querelle. Voici : Généralement, l'éditeur paie à l'auteur tant par mille exemplaires. L'auteur n'a aucun moyen d'être renseigné sur sa vente — que les renseignements de l'éditeur. Il faut donc avoir confiance. On conçoit tout ce que ce système offre de dangers, occasionne de doutes, de troubles dans les relations des uns et des autres. Il serait facile d'y remédier par un timbre de l'Etat sur les volumes, un visa de l'auteur. A cela l'on n'objecte que des difficultés pratiques à résoudre, Il s'était fondé pour les étudier une Société des romanciers français ; elle n'a pas fonctionné : la vérité, c'est que les auteurs ne tiennent pas à un contrôle rigoureux, par vanité, besoin de là complaisance des éditeurs pour jouer le public, en publiant avec la marque centième édition des volumes imprimés à quelques centaines de volumes seulement — ce qui donne des éditions de deux cents exemplaires ! Ces disputes de boutique, arrivant aux oreilles du public, ce serait un excellent résultat si les lecteurs désormais renseignés se défiaient de tomber dans les pièges que leur dressent, d'accord les écrivains en quête de succès et leurs âpres impresarii — aujourd'hui que l'on fait un auteur, une réputation, comme des savons, ou des pastilles contre le rhume.

Jean Ajalbert.

THE CHRONICLE
LITERARY MANNERS

They petitioned—to the Queen of England—to obtain the total, even partial, pardon of Oscar Wilde. We remember the unfortunate position in which the lamentable esthete had put himself, and with what disproportionate pain, three years of hard work, he paid for his friendship with Lord Douglas, unscathed him: English justice could not envy anything to that of 'other country ! French poets were moved generously, to the prisons that we are told, which threaten to be fatal to the remarkable writer of Dorian Gray; they take care to create a movement in favor of their colleague across the Channel; but it seems that it does not go by itself; the question is also very delicate and we understand that the masters ask for reflection.

Oscar Wilde receives a common law sentence; it was not about a political opinion, about a writing that he was struck; hesitation is therefore permitted; if it were only a matter of sparing a culprit, whoever he may be, the harshness of expiation, there are hardly any writers who would doubtless abstain from leaning towards forgiveness, oblivion; but today the species is different; the signature of the elders is solicited, and a thought from behind the head is mixed with the petition — shame on who thinks ill of it; we do not say clearly enough what it is all about; and while one raises, on the one hand, a single debate of humanity, one lets subsist, on the other hand, another conflict; many may value the works of Oscar Wilde, and limit their esteem for him; however, we like to allow ambiguity to subsist, as M. Henry Fouquier has very well noted — the pet peeve of young people!

Indeed, of those whose considerable signature could have crossed the strait with some chance of being examined, it is not only to support an appeal for clemency that one asks, it is almost to join a literary event in honor of a martyr of the idea; it is excessive; a number of very free spirits are willing to abstain from judging the case of Oscar Wilde, admitting that there is no fault on his part against the social order, and that the law here is iniquitous; they claim, at least, not to be treated like criminals, because they prefer something else and abstain from the intimacy of the boys of the telegraph or the stable; it could be that M. Alexandre Dumas, for example, would have hesitated to sign at the same time as M. Eckhoud, who dedicates a book, thus: To Monsieur Oscar Wilde, to the poet and to the pagan martyr, tortured in the name of Protestant justice and virtue.

It is perhaps “lapidary and of a beautiful courage”, as the Mercure de France affirms; but that may not be to everyone's taste; Oscar Wilde showed talent; the punishment which reaches him for an act punishable by English law, which has moreover been proven, is appalling, disproportionate; the French writers who will obtain softening or liberation from him will have accomplished excellent charity; the French writers who persist in not wanting to be noted as members of his entourage may not be committing a misdeed all the same...

Here is a problem where Alexandre Dumas, who died on the Road to Thebes, will not stop. He would have brought to it a thoughtful opinion, backed up with reasons — where so many of his colleagues in the book or the theater are only pushed or restrained by petty personal motives: to do or not to do — like this one or that one . Also, his prefaces, letters, interviews were not ordinary; it was an abundant copy, always ready to fall like manna in the desert of reporting! He knew his press, he showed it again by dying in the right way, not unexpectedly like so many awkward people, of whom there is no way of talking about, even when they die. The columns of the newspapers were prepared to receive the sad news; it was like a unanimous account of the premiere—the latter: this glory, which the great dailies bury under flowers, the little magazines where the registers for Oscar Wilde are deposited, will at the very least throw disdainful or brutal stones at him; we will stone the memory of the moralistic playwright, to whom the enthusiastic generations of today, for the time being, from the East and the North, will not be able to be sufficiently grateful for his audacity of yesterday and the day before yesterday .

While we are imprisoned in England, buried in France, the writers who live and circulate bicker with their publishers. It's an old quarrel. Here it is: Generally, the publisher pays the author so much per thousand copies. The author has no means of being informed about his sale — only the publisher's information. So you have to have confidence. We can imagine all the dangers that this system offers, causes doubts, troubles in the relations of one and the other. It would be easy to remedy this by a stamp of the State on the volumes, a visa of the author. To this are objected only practical difficulties to be resolved. To study them, a Society of French novelists had been founded; it did not work: the truth is that the authors do not insist on rigorous control, out of vanity, need for the complacency of the publishers to trick the public, by publishing with the hundredth edition mark volumes printed a few hundreds of volumes only - which gives editions of two hundred copies! These boutique disputes, reaching the ears of the public, would be an excellent result if readers now informed were to beware of falling into the traps set for them, agreed by writers in search of success and their bitter impresarii - today that one makes an author, a reputation, like soaps, or lozenges against colds.

Jean Ajalbert.

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