UN SCANDALE A LONDRES
L'affaire Oscar Wilde

On nous écrit de Londres, 7 avril:

L'impression la plus profonde est causée, non seulement à Londres, mais dans toute l'Angleterre, par le verdict rendu dans l'affaire Queensberry-Wilde et par l'arrestation de ce dernier. Depuis le commencement des débats, les journaux de l'après-midi ont publié éditions sur éditions et il n'était guère d'autre sujet de conversation.

On connaît les faits transmis au jour le jour par le télégraphe: le célèbre poète et dramaturge, accusé ouvertement de professer des goûts ... ecclésiastiques par lord Queensberry, a eu l'imprudence de poursuivre celui-ci pour diffamation, et le procès s'est terminé par un verdict de non-culpabilité rendu en faveur du défendeur, autrement dit par la condamnation de M. Wilde, contre lequel un mandat d'amener était aussitôt lancé.

Le même jour, vers sept heures du soir, le poète, suivi depuis sa sortie du tribunal par deux détectives qui n'attendaient pour l'appréhender que la délivrance d'un «warrant» en due forme, était arrêté au Cadogan hotel et conduit au poste de Bow street. Ce bâtiment est à la fois tribunal et prison provisoire: une série de cellules situées un peu au-dessous du sol et donnant sur un couloir sombre, étroit, reçoivent les délinquants qui ont à s'expliquer avec sir John Bridge.

Sombres prévisions

C'est là que l'élégant auteur de Dorrien Grey a passé une nuit des moins agréables, livré à des reflexions peu rassurantes, car les actes dont il est accusé entraînent la terrible penal servitude pour une durée minimale de dix ans et, si des circonstances atténuantes ne sont trouvées, pour la vie.

En Ecosse, jusqu'en 1887, c'était même la peine de mort qui menaçait les sodomites.

Devant le juge

Oscar Wilde est sorti le matin du poste, se plaignant de ce qu'il ne lui fût pas permis de fumer et n'acceptant, pour toute subsistance qu'un peu de poulet froid et une tasse de café. Aussi paraissait-il hagard et défait lorsqu'il comparut ce matin, sur le coup d'onze heures, devant sir John Bridge, magistrat présidant le tribunal de police de Bow street. Bientôt, pourtant, il reprenait cette attitude de détachement et d'indifférence dillettante qui lui réussit si mal en cour d'Old Bailey.

M. F.-C. Gill, qui poursuit au nom de la trésorerie, et M. Humphrey, avoué chargé provisoirement de la défense, venaient à peine de gagner leurs places, lorsqu'on vit entrer, entre deux détectives, l'invidu que recherchait la police et qui passe pour le pourvoyer de M. Wilde. Il vient d'être arrêté près de sa maison de Pimlico.

C'est un nommé Alfred Taylor. Il est fort bien mis et paraît intelligent; son attitude pendant les débats est la même que celle de M. Wilde, avec une nuance de cynisme en plus, car il sourit aux détails particulièrement répugnants racontés par les témoins.

Ceux-ci réitèrèrent le récit des faits honteux déjà confessés aux avoués du marquis de Queensberry.

Ceux-ci réitèrent le récit des faits honteux déjà confessés aux avoués du marquis de Queensberry.

Le jeune Parker, un valet sans emploi, fut présenté, avec son frère le groom, à M. Wilde par Taylor; ils dinèrent ensemble en cabinet particulier et, après force libations au champagne, Parker accompagna l'écrivain à l'hôtel Savoy. Ils devaient y avoir tous deux plusieurs tête-à-tête qui rapportaient au jeune valet de 50 à 75 francs en moyenne.

Le jeune Parker, un valet sans emploi, fut présenté, avec son frère le groom, à M. Wilde par Taylor! ils dînèrent ensemble en cabinet particulier, et, après force libations au Champagne, Parker accompagna l'écrivain à l'hôtel Savoy. Ils devaient y avoir tous deux plusieurs tête-à-tête qui rapportaient au jeune valet de 50 à 75 francs en moyenne.

Wood raconte à peu près la même histoire; seulement, plus avisé que Parker, il rompit bientôt ses relations avec de « pareilles gens ». Puis c'est le tour du masseur de l'hôtel Savoy, dont les accusations contre M. Wilde sont confirmées par une femme de chambre.

Voici enfin Mme Grant, propriétaire de la maison jadis habitée, à Little-College street, par Taylor, qui dépose que ce personnage recevait fréquemment des jeunes gens dans ses chambres fastueusement meublées, éclairées d'une lumière spéciale et où brûlaient des parfums. Aux afternoon tea qu'il y donnait, Taylor paraissait en un élégant déshabillé, « tel qu'une petite maîtresse »...

Voici enfin Mme Grant, propriétaire de la maison jadis habitée, à Little-Collège street, par Taylor, qui dépose que ce personnage recevait fréquemment des jeunes gens dans ses chambres fastueusement meublees, éclairées d'une lumière spéciale et où brûlarent des parfums. Taylor paraissait en un élégant déshabillé « tel qu'une petite maîtresse ».

Scandale grandissant

A la fin d'une des dépositions, le ministère public fait cette remarque: «Nous sommes ici pour nous occuper de l'affaire Wilde. Mais je crois savoir que d'autres personnes assistaient aux réunions dont on vient de parler». C'est ce que confirme le témoin, qui signale le départ de deux d'entre elles pour le continent. Et, à ce propos, je peux ajouter qu'il est sérieusement question de l'arrestation imminente d'un haut personnage compromis dans la même affaire de moeurs... Et quelles moeurs!...

A la fin d'une des dépositions, le ministère public fait cette remarque: « Nous sommes ici pour nous occuper de l'affaire Wilde. Mais je crois savoir que d'autres personnes assistaient aux réunions dont on vient de parler. » C'est ce que confirme le témoin, qui signale le départ de deux d'entre elles pour le continent. Et, à ce propos, je peux ajouter qu'il est sérieusement question de l'arrestation imminente d'un haut personnage compromis dans la même affaire de mœurs.

A la fin d'une des dépositions, le ministère public fait cette remarque: « Nous sommes ici pour nous occuper de l'affaire Wilde. Mais je crois savoir que d'autres personnes assistaient aux réunions dont on vient de parler. » C'est ce qu'a confirmé le témoin, qui a signalé la départ de deux d'entre elles pour le continent.

Après que M. Humphrey eut, au nom de M. Wilde, réservé son droit de procéder à un contre-interrogatoire des témoins, sir John Bridge annonça l'ajournement des débats à jeudi prochain. La demande de mise en liberté sous caution, formulée en faveur du prisonnier, fut rejetée.

Après que M. Humphrey eut, au nom de M. Wilde, réservé son droit de procéder à un contre-interrogatoire des témoins, sir John Bridge annonça l'ajournement des débats à jeudi prochain. La demande de mise en liberté sous caution, formulée en faveur du prisonnier, fut rejetée.

Après que M. Humphrey eut, au nom de M. Wilde, réservé son droit de procéder à un contre-interrogatoire des témoins, sir John Bridge annonce l'ajournement des débats à jeudi prochain. La demande de mise en liberté sous caution, formulée en faveur du prisonnier, est rejetée.

Les journaux de cet après-midi se font l'écho des rumeurs les plus sensationnelles et il est inutile de dissimuler qu'on se demande un peu partout sur quelle illustration la foudre va tomber: il y a assurément de l'orage dans l'air. Une nouvelle bien extraordinaire est celle d'après laquelle sir Edward Clarke, qui représentait M. Wilde dans le procès intenté à lord Queensberry, offrirait de le défendre cette fois encore, et gratuitement. Sir Edward Clarke était le solicitor général de la dernière administration conservatrice; il est aussi l'un des chefs du parti clérical anglais à la Chambre des Communes.

Hypocrisie. - Un journal gallo-phobe

M. Oscar Wilde a été heureux qu'une foule de hauts personnages qui, dans les somptueux et discrets hôtels du West-End, dans les nids capitonnés de Regent street, Piccadilly et surtout de Saint John's Wood, se livrent sans contrainte à leurs penchants unisexuels. Ayant eu affaire à un père alarmé pour la vertu - peu farouche - de son fils, le poète va non seulement expier ses actes, mais encore servir de bouc émissaire. L'aristocratie anglaise, dont les moeurs sont tout aussi peu recommandables, avec, en plus, une hypocrisie bigote, va se redonner une virginité en se montrant impitoyable.

Parmi les journaux dont le langage prête à sourire se trouve le Daily Telegraph. Qui rend-il responsable des moeurs de M. Wilde? La France! La France, dont l'influence corruptrice gangrène insensiblement le théâtre et la littérature anglaises.

On croit rêver et l'on est obligé de s'esclaffer pour ne point s'indigner; car si l'art britannique moderne, assez faible, est maintenant obligé de s'aviver au contact de l'esthétique étrangère en général et française en particulier, la sodomie est malheureusement une plaie presque aussi nationale que l'ivrognerie et le paupérisme.

Le Daily Telegraph a-t-il oublié les petits télégraphistes?

Chasteté londonnienne

Chaque pays a ses hontes comme ses gloires, et il n'entre pas dans notre pensée de solidariser avec M. Wilde tous ses compatriotes. Néanmoins, il est facile, lorsque des tartufes crient à la corruption étrangère, de leur répondre qu'il n'existe guère dans une autre ville de l'Europe l'analogue de Hyde park, où, le soir, sur chaque banc, contre chaque arbre, des couples s'adonnent aux exercices les plus folichons et où des soldats arpentent les sentiers ombreux cherchant non des femmes, mais des hommes.

Cosmo.

A SCANDAL IN LONDON
The Oscar Wilde Affair

They write to us from London, April 7:

The deepest impression is made, not only in London, but throughout England, by the verdict in the Queensberry-Wilde case and by the latter's arrest. Since the beginning of the debates, the afternoon papers have published issue after issue and there was hardly any other topic of conversation.

We know the facts transmitted from day to day by the telegraph: the famous poet and playwright, openly accused of professing ... ecclesiastical tastes by Lord Queensberry, had the imprudence to prosecute the latter for defamation, and the trial s ended with a verdict of not guilty in favor of the defendant, in other words with the conviction of Mr. Wilde, against whom an arrest warrant was immediately issued.

The same day, around seven o'clock in the evening, the poet, followed since leaving the court by two detectives who were only waiting to apprehend him for the issue of a "warrant" in due form, was arrested at the Cadogan hotel and taken at Bow street post. This building is both a court and a temporary prison: a series of cells located a little below the ground and opening onto a dark, narrow corridor, receive the delinquents who have to explain themselves to Sir John Bridge.

Grim predictions

It is there that the elegant author of Dorrien Gray spent a night of the less pleasant, delivered to not very reassuring reflections, because the acts of which he is accused involve the terrible penal servitude for a minimum duration of ten years and, if extenuating circumstances are found, for life.

In Scotland, until 1887, it was even the death penalty that threatened sodomites.

Before the judge

Oscar Wilde left the post in the morning, complaining that he was not allowed to smoke, and only accepting for subsistence a little cold chicken and a cup of coffee. So he looked haggard and defeated when he appeared this morning, at the stroke of eleven o'clock, before Sir John Bridge, presiding magistrate of the Bow Street Magistrate's Court. Soon, however, he resumed that attitude of detachment and dilettante indifference which succeeded so badly in the court of the Old Bailey.

MF-C. Gill, who is prosecuting in the name of the treasury, and Mr. Humphrey, the attorney temporarily in charge of the defence, had barely taken their places when the person sought by the police was seen to enter, passing by. to provide it from Mr. Wilde. He was just arrested near his home in Pimlico.

It's a man named Alfred Taylor. He is very well dressed and seems intelligent; his demeanor during the proceedings is the same as that of Mr. Wilde, with an added touch of cynicism, for he smiles at the particularly repugnant details recounted by the witnesses.

These reiterated the account of the shameful facts already confessed to the solicitors of the Marquess of Queensberry.

Young Parker, an unemployed valet, was introduced, with his brother the bellboy, to Mr. Wilde by Taylor; they dined together in a private room and, after many champagne libations, Parker accompanied the writer to the Savoy Hotel. They were both to have several tete-a-tetes which brought in the young valet from 50 to 75 francs on average.

Wood tells much the same story; only, wiser than Parker, he soon broke off his relations with "such people." Then it's the turn of the masseur at the Savoy Hotel, whose accusations against Mr. Wilde are confirmed by a chambermaid.

Finally, there is Mrs. Grant, owner of the house formerly inhabited, in Little College Street, by Taylor, who deposes that this personage frequently received young people in her sumptuously furnished rooms, lighted with a special light and where perfumes burned. At the afternoon tea he gave there, Taylor appeared in an elegant negligee, "like a little mistress"...

growing scandal

At the end of one of the depositions, the prosecution remarks: “We are here to take care of the Wilde case. But I believe that other people were present at the meetings we have just spoken of”. This is confirmed by the witness, who reports the departure of two of them for the continent. And, in this regard, I can add that there is serious question of the imminent arrest of a high personage compromised in the same affair of manners... And what manners!...

After Mr. Humphrey had, in Mr. Wilde's name, reserved his right to cross-examine the witnesses, Sir John Bridge announced the adjournment of the proceedings until Thursday next. The request for release on bail, made in favor of the prisoner, was rejected.

The newspapers this afternoon echo the most sensational rumours, and it is useless to hide the fact that people are wondering almost everywhere on which illustration the lightning is going to fall: there is certainly a storm in the air. A very extraordinary piece of news is that Sir Edward Clarke, who represented Mr. Wilde in the case brought against Lord Queensberry, would offer to defend him this time again, and free of charge. Sir Edward Clarke was Solicitor General in the last Conservative administration; he is also one of the leaders of the English clerical party in the House of Commons.

Hypocrisy. - A gallo-phobic newspaper

Mr. Oscar Wilde was happy that a host of high personages who, in the sumptuous and discreet hotels of the West End, in the padded nests of Regent Street, Piccadilly and especially of Saint John's Wood, indulged their inclinations without restraint unisexual. Having had to deal with a father alarmed for the virtue - not very shy - of his son, the poet will not only expiate his actions, but also serve as a scapegoat. The English aristocracy, whose morals are just as disreputable, with, in addition, a bigoted hypocrisy, will restore their virginity by showing themselves to be ruthless.

Among the newspapers whose language makes you smile is the Daily Telegraph. Who does he hold responsible for Mr. Wilde's morals? France! France, whose corrupting influence imperceptibly plagues English theater and literature.

One thinks one is dreaming and one is obliged to guffaw in order not to be indignant; for if modern British art, quite weak, is now forced to liven up in contact with foreign aesthetics in general and French in particular, sodomy is unfortunately a plague almost as national as drunkenness and pauperism.

Has the Daily Telegraph forgotten the little telegraphers?

London chastity

Each country has its shames as well as its glories, and it is not our idea to unite all his compatriots with M. Wilde. Nevertheless, it is easy, when tartufes shout at foreign corruption, to answer them that there is hardly in any other city of Europe the analog of Hyde park, where, in the evening, on each bench, against each tree, couples devote themselves to the most folichons exercises and where soldiers survey the shaded paths seeking not women, but men.

Cosmo.

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